Le tragique et le grotesque

Ça commence par une belle couverture presse, bien organisée par la communication gouvernementale. « Place nette XXL ». Attention, Darmanin est là, les « narcos » vont en voir de toutes les couleurs. Macron également a fait le déplacement, entre deux séances de boxe, muscles bandés, sueur au front. Marseille n’est-elle pas « sa » ville, comme les empereurs, les rois avaient les leurs, celles qu’ils honoraient de leurs entrées et de leurs séjours ? On peut supposer que le ministre a moyennement apprécié de voir son n+2 s’inviter sur son terrain de jeu ; qu’importe. En revanche, les très nombreux fonctionnaires de police mobilisés pour l’occasion et pour plusieurs semaines encore auraient quelque raison de s’agacer. Dans cette « guerre » contre la drogue, mise en scène à grand renfort de communication, ne jouent-ils pas le rôle du faire-valoir ? Sans doute jugeraient-ils plus utile qu’on les laisse simplement faire leur métier. Le travail d’enquête est une affaire de patience et de discrétion peu compatible avec les exigences de la téléréalité.
De fait, trois jours plus tard, les résultats paraissent bien maigres, les petites mains arrêtées et déférées, à mille lieues des caïds qui régentent le commerce de la drogue dans la « Cité phocéenne ». Quant aux dealers des plateformes numériques, ils poursuivent leur business en s’excusant, bons commerçants, pour la gêne occasionnée par l’intervention policière (Le Monde du 22/03). Au total, on mesure le décalage entre le spectacle offert au bon peuple et la réalité d’une ville abandonnée à sa propre misère. Il est tellement évident que cette manière de procéder est, non pas insuffisante au regard de, mais intrinsèquement contradictoire aux objectifs que l’État prétend se fixer dans le domaine de la lutte anti-stupéfiants, qu’en faire mention peut paraître superflu. À Marseille, jusqu’à présent, Macron se paie surtout de slogans sans lendemain (« Marseille en grand », dont la Cour des comptes a récemment étrillé l’absence de cadre contractuel, le sous-dimensionnement, l’insuffisance des moyens humains). Naturellement, il n’est pas le seul responsable de l’état présent des choses. Ses devanciers, les ministres, les exécutifs locaux le sont également, qui ont laissé se développer, à l’échelle d’une métropole d’un million d’habitants, une situation incroyablement ségréguée et, du côté nord de la frontière invisible qui coupe en deux l’étroite bande urbaine coincée entre les collines et la mer, indigne d’un pays qui se proclame celui de l’égalité et de la fraternité. Responsables, tous, chacun à la mesure de son pouvoir. Responsables également, à l’échelle nationale, Sarkozy et les siens, qui ont fabriqué il y a vingt ans de cela une police de plus en plus séparée de la population. Au temps du capitalisme sauvage et de la régression sociale, le fossé se creuse entre la police et la société comme il se creuse entre la société des riches et la société des pauvres, il n’y a pas lieu de s’en étonner. Pour parvenir à ce résultat, il a fallu beaucoup d’impéritie, et également une volonté déterminée de destruction de la puissance publique. Ainsi, à Marseille comme ailleurs, l’« État-providence », ou disons plutôt l’État social, devient peu à peu cet État « gardien de nuit », pudiquement dénommé « État protecteur » par Bruno Le Maire, qu’avait rêvé l’idéologie libérale. Après tout, au Mexique ou à Marseille, les parrains de la drogue ne sont qu’un exemple accompli, soi-disant déviant, du capitalisme le plus orthodoxe. Il n’est pas possible, ou pas honnête, de prétendre les mettre hors d’état de nuire tout en créant méthodiquement les conditions d’un accroissement de leur emprise sur le social.

Ainsi débarrassé du « superflu », l’État pourra se concentrer sur ses fonctions originelles : faire la police et faire la guerre, accessoirement rendre la justice – à supposer que la justice, au sens institutionnel du terme, puisse être rendue de manière satisfaisante lorsque la justice sociale semble devoir être inexorablement broyée par la brutalité des faits sociaux. Signe des temps, les mots de police et de guerre sont furieusement revenus à la mode, en particulier dans le discours des gouvernants – la « guerre » au covid en 2020 puis l’« économie de guerre », avec les piètres résultats que l’on sait (voir le Canard du 20/03). Dans les temps où nous sommes, la guerre, naturellement, n’est pas qu’un leurre, un mythe, un argument rhétorique. Plus exactement, si elle est aussi cela, elle est d’abord une réalité tangible que Poutine, ses oligarques, le système enfin dont il est le symbole et le chef, ont déclenchée contre leurs « frères » d’Ukraine, voici déjà plus de deux ans, sans jamais cesser de menacer l’« Occident global », s’il venait à s’en mêler de trop près, de la guerre mondiale et nucléaire. Face à cette immense folie, il n’y a pas d’autre option que de déployer une immense sagesse. En commençant par rappeler que si, pour les Ukrainiens, et pour les appelés russes, dont beaucoup sans doute s’en seraient passé, la guerre est une réalité vécue, elle n’a pas, elle ne doit pas avoir, ni pour l’Europe, ni pour le monde, le caractère de fatalité qu’on tend de plus en plus à lui donner. Ici et là, en effet, se diffuse cette petite musique que l’affaire est inéluctable, qu’il faut se préparer à la guerre pour défendre « nos valeurs », faute de quoi nous pourrions être les prochains sur la liste. En vérité, cette idée est à peine plus raisonnable que les effrayantes divagations du Kremlin. L’État russe ne vise pas à la domination du monde, ni même de l’Europe, mais de son étranger proche. Nous sommes d’accord que ce n’est pas une raison pour l’y laisser faire n’importe quoi : violer le droit international, bombarder les populations civiles, décider de la couleur des gouvernements des ex-républiques soviétiques. Nous sommes également d’accord qu’un débordement de l’agressivité russe sur un État de l’Otan ou de l’Union nous placerait dans une fâcheuse, et funeste, posture. Mais alors, où sont les armes que l’on promet à Kiev, mois après mois et maintenant année après année, pour fixer le puissant voisin dans le territoire où il importe absolument de circonscrire et d’étouffer le conflit afin d’éviter qu’il n’en déborde les frontières ?
L’Europe doit pouvoir se défendre. Cette idée est d’une telle banalité que jusqu’aujourd’hui elle ne s’est pas souciée de lui donner un commencement de réalité, préférant à l’autonomie stratégique un suivisme atlantiste de mauvais aloi, et hautement inflammable. Elle doit pouvoir se défendre, mais elle doit tout autant être une puissance de paix – elle le doit à son histoire, à son identité même. Il n’y a là rien d’antinomique. Veiller à posséder un instrument militaire en état de marche et préparer la guerre sont deux choses fondamentalement différentes. On peut être un pacifiste convaincu, forcené même, et concevoir que la société doit être prête à toute éventualité, y compris à la plus extrême. Songeons à Jaurès, héraut de l’armée nouvelle, assassiné, à la veille du déclenchement des hostilités, parce qu’il incarnait l’espoir de la paix contre la confrontation soi-disant inéluctable des puissances impérialistes. Alors, quand il semble donner raison aux « experts » du va-t-en-guerrisme avec ses « troupes au sol », quand il persiste et signe en affirmant à propos de l’Ukraine que « la France n’a pas de ligne rouge », Macron s’égare dangereusement. Après avoir songé à Jaurès, on songe inévitablement à Brassens :
Les saint Jean bouche d’or qui prêchent le martyre
Le plus souvent, d’ailleurs, s’attardent ici bas.

Pendant ce temps, l’une des grandes tragédies du début du XXIe siècle se déroule presque sous nos yeux : Gaza, ses plus de 30 000 morts, dont une vaste majorité de civils. Que signifie cette masse, pour nous autres qui n’avons que le mot d’humanisme à la bouche et nous abîmons dans des arguments spécieux pour ne pas reconnaître dans son humanité cette humanité-là ? En cinq mois de temps, seuls quelques organes de notre presse nationale se sont efforcés, et de loin en loin, de mettre des visages sur les chiffres et des noms sur les visages. Cette tragédie cependant est bien la nôtre, non pas parce que nous la vivons dans notre chair, mais parce qu’elle a lieu avec l’accord tacite de gouvernements qui ont beau jeu d’« exiger » le cessez-le-feu quand le plus grand mal a été fait, quand il n’y a déjà plus que des ruines. Pour réagir à l’horreur des massacres du 7 octobre, et à l’ébranlement profond qui en est inévitablement résulté pour la société israélienne, l’État israélien, mû par des chefs pour certains cyniques, pour d’autres, fanatiques, a choisi la violence indiscriminée. Le résultat est épouvantable. Il n’y a guère de mot pour le décrire. D’un État censément « démocratique », cela fait froid dans le dos, mais il est vrai que notre histoire des deux derniers siècles ne nous donne aucun droit à nous sentir irréprochables sur ce terrain. Pour les Palestiniens, c’est une insondable tragédie ; pour Israël, c’est un crime et une erreur grave pour l’avenir. Cela paraît idiot à dire, mais on ne construit pas la paix avec des bombes. Même pas la sécurité. Pour vivre, là-bas comme ici, il faut vivre ensemble, et pour vivre ensemble, il faut se connaître, se reconnaître, discuter, négocier, bâtir des solutions politiques. La force parfois peut être utile. Il arrive qu’elle soit nécessaire, pour autant qu’elle soit maîtrisée, ponctuelle, ciblée, ramenée toujours à sa juste proportion, à sa juste fin. Les démonstrations de force, en revanche, simplement théâtrales ou effectivement meurtrières, ne sont jamais que vaines ou destructrices. Grotesques ou tragiques.

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La fabrique des demi-Français

Le temps a rattrapé ce blog ; un siècle au vrai semble avoir passé depuis ce dernier billet.

Il y a eu les mégafeux, tant d’autres conséquences sensibles et terrifiantes de l’insatiable « modèle de développement » capitaliste sur notre pauvre Terre et ses habitants de toutes espèces. La Cop 28 est passée par là et tout ce que nous montrent les déclarations d’intention qui y furent adoptées est qu’il est illusoire de compter sur un changement tout à la fois radical et intrinsèque, tant le monde comme il va semble résolument engagé dans sa course à l’abîme.

Il y a eu également les manifestations de la folie humaine à un état plus primaire et plus immédiat encore : les massacres commis par le Hamas contre les populations civiles d’Israël, qui fut un choc épouvantable pour les Juifs de tous les pays, et les représailles assassines de l’État hébreux contre les populations civiles de Gaza sur fond de violences coloniales en Cisjordanie occupée.
Cette réplique indiscriminée, dont l’un des objectifs semble être de vider la bande de Gaza de ses habitants, s’est opérée, et s’opère encore, avec le consentement ou du moins dans le silence complice, et coupable, des puissances occidentales. Bien d’autres certes ont leur part dans cet enchaînement fatal. Mais ne faut-il pas commencer par « balayer devant sa porte » ? Qu’attend-on par exemple de l’Iran des mollahs ? Pas grand-chose, assurément. De l’Europe en revanche on aurait attendu beaucoup, compte tenu des valeurs qu’elle revendique aux plans intérieur et international. Et de la France, plus encore. Las, la France de 2023 n’est plus celle de 2003 ; quelques clefs de compréhension du monde se seront perdues en route ; Paris parle énormément mais n’est plus entendue.

Le chemin de la paix est lointain si l’on ne sait répondre à la folie que par une folie plus grande encore. Cela est vrai pour ce petit coin du monde, où se joue depuis des décennies un si grand drame, comme cela est vrai pour « nos » pays, où la parole publique crispe au lieu d’apaiser. Était-il si difficile d’assumer et de tenir cette position de justice selon laquelle Palestiniens et Israéliens ont tous droit à la sécurité et à la dignité ? Et qui a pour corollaire que personne, là-bas, ne doit être repoussé ni à la mer, ni au désert, ni enseveli sous les ruines ? Quand on se donne la peine de chercher sincèrement et ardemment des individus pour se parler en ces termes, on finit en général par les trouver ou les susciter. Et l’on est surpris souvent de constater que les va-t-en-guerre sont moins nombreux qu’on avait pu le croire au commencement. Quelques-uns, rares, se sont efforcés de tenir ici cette position, quand d’autres qui auraient dû l’adopter s’aveuglaient dans de sombres calculs. Réclamer le cessez-le-feu à Gaza, marcher contre l’antisémitisme en France, il ne peut y avoir que des esprits retors ou malintentionnés pour nous faire croire que cela est incompatible.

Hélas, cette incapacité, ce renoncement à frayer un tel chemin tient aussi à ce que notre propre terrain, celui de la République, a été abandonné aux explications simplistes, aux bas-du-front de toutes les chapelles, aux idéologues de la guerre des races. La loi xénophobe qui vient d’être adoptée avec le soutien du RN en porte un redoutable témoignage. Ses conséquences pour les immigrés présents ou futurs et pour la cohésion même de la société française seront d’une grande dureté. Elles conduiront elles-mêmes, par des suites d’enchaînements vicieux dont la subtilité échappe aux déclarations de plateau ou de réseaux sociaux, à adopter des mesures encore plus implacables, encore plus racistes, encore plus punitives.
Ce n’est pas le lieu de se lancer dans une analyse documentée de ce texte globalement néfaste. Citons cependant les allocations supprimées en-deçà de cinq ans de résidence sur le territoire, qui est une manière d’expérimentation de la « préférence nationale » avant, peut-être un jour, son adoption en vraie grandeur, dans un cadre constitutionnel modifié par un RN victorieux. Les étrangers étaient déjà les plus pauvres d’entre les pauvres, il le seront désormais plus encore. Un étudiant de ma connaissance, originaire d’un pays non-européen, me rapportait par ailleurs ses craintes vis-à-vis de la caution qui lui sera bientôt demandée, en plus de toutes les procédures complexes et parfois vexatoires auxquelles il doit se soumettre, pour demeurer dans le pays où il vit depuis de longues années et dont il respecte scrupuleusement les lois. Cela se sent : les gens qui promeuvent de telles mesures n’ont jamais vécu la vie du métèque ou de l’exclu. Il y aurait matière ici à questionner notre constitution politique, mais ne compliquons pas les choses.

À cause de ma propre expérience sans doute, une mesure me touche plus particulièrement : celle qui entreprend l’œuvre de démolition du droit du sol.
Voici les termes de l’article 21-7 modifié du code civil après le vote de la loi Darmanin-Ciotti-Le Pen (les termes ajoutés sont soulignés) : « Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité, à la condition qu’il en manifeste la volonté si, à cette date, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans. » Une incise apparemment de rien du tout, mais lourde de conséquences tant symboliques que pratiques. Ainsi l’on fera dans l’avenir des Français plus ou moins français, plus ou moins citoyens, selon que leurs parents seront d’ici ou d’ailleurs. Ainsi l’on placera dans une situation d’insécurité totale des quantités de gamins nés et socialisés en France, dont il n’est pas écrit qu’à leur majorité ils songeront seulement à « manifester leur volonté » d’acquérir la nationalité de ce pays. Ce faisant l’on souscrit aux vieilles lubies de l’extrême droite détruisent les sociétés qu’elles prétendent renforcer. « Un veau qui naît dans une écurie, cela ne fera jamais de lui un cheval ! » a affirmé le sénateur zemmouriste Stéphane Ravier en séance publique le 8 novembre dernier. C’était résumer de manière extrêmement frappante cette idéologie qui assaille la République de tous côtés : dans les assemblées avec la respectabilité de la cravate, dans les rues avec celle de la batte de base-ball.

Pour en revenir à mon cas personnel, je me rappelle très nettement combien j’étais fier, à cinq ans à peine, et tout juste français par déclaration, de célébrer le bicentenaire de la Révolution de 1789 en habit de sans-culotte. Nous étions loin alors d’où nous sommes maintenant. Lors des débats déjà puants de 2015 sur la déchéance de la nationalité, une autre connaissance, celle-ci très intégrée, française de parents français probablement depuis Astérix le Gaulois, et évoluant au sein de la meilleure société, avait répondu à mes objections en affirmant que « lorsqu’on n’a rien à se reprocher, on n’a rien à craindre ». Ces gens-là, je le répète, n’ont rien connu des difficultés de la vie. Ils ignorent absolument ce que c’est que d’être tout au bas de l’échelle, exclu par son statut doublement humiliant de prolétaire et de métèque – pour reprendre le concept appliqué par Agamben à la logique propre du pouvoir souverain, d’homo sacer. Je ne le sais sans doute pas beaucoup mieux, moi, enfant d’une immigration « choisie », de langue française, qui avait fait du territoire où je vis depuis quarante années maintenant son pays d’élection, mais, pour ma part,  je n’oublie pas que « nous sommes tous des enfants d’immigrés ». Et le pays que je vois ressemble de moins en moins à celui que j’ai espéré.

 

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La société doit s’ouvrir (ou périr des maux qu’elle a cru conjurer en se fermant)

Une société est fort mal en point lorsqu’elle oublie la matière dont elle est faite et commence à prendre ses fantasmes pour des réalités. Quelques jours après la mort de Nahel et au lendemain d’une nouvelle révolte des quartiers, nous en sommes là. À vrai dire, nous y étions depuis 2005 et bien avant, mais tout laisse à penser que nous venons de franchir un cap. Dans la conscience collective, il y aura certainement un avant et un après 27 juin 2023 et/ou un avant et un après 29 juin 2023, comme une fracture entre des parties de la population qui, faute de se connaître, se reconnaissent de moins en moins comme concitoyens – voire, dans certains cas, comme congénères.

Pour se parler franchement, il n’y a aujourd’hui aucune raison d’espérer que cette fracture se résorbe à court terme. Les « accélérationnistes » et autres représentants de l’ultradroite, théoriciens de la « guerre des races », sont définitivement sortis du bois ; une « milice » se constitue peu à peu et il a été documenté qu’elle avait pu agir ponctuellement comme auxiliaire de facto d’une police en perte complète de ses repères. Surtout, l’extrême droite partidaire joue sur du velours : en même temps qu’il abolit toute raison, son discours de haine donne l’illusion du sens. Les autres n’ont le choix qu’entre se mettre dans sa roue ou ramer pour se faire entendre. Sensible, complexe, la matière sociale requiert, pour être appréhendée, un minimum d’intelligence, pas mal de sens de la nuance, et même une certaine dose de tact, toutes choses désormais rares, impossibles ou proscrites.

Il n’y a donc aucune raison d’espérer dans l’avenir proche, et cependant il faut bien continuer d’y croire, préparer l’avenir plus lointain, ou alors tout arrêter maintenant. Fort heureusement l’histoire nous montre que l’humanité n’est pas vouée à vivre soit dans un absolu désordre soit sous un pouvoir de plus en plus implacable, classiste et raciste. Des millénaires de philosophie et d’expériences sociales ont même planté un certain nombre de jalons qui peuvent nous servir de guide dans la pénombre. Mais l’histoire nous rappelle aussi que ce chemin est toujours un combat. On a cru, un jour, que la République pouvait être humaniste, démocratique et sociale. On s’en est éloigné souvent, on y a tendu parfois, on peut se remettre en route, avec les données d’aujourd’hui, dont l’une des principales est que le monde est rentré – légitime retour des choses – dans les pays qui en avaient jadis entrepris la conquête au nom d’une prétendue « mission civilisatrice ». L’humanité est dorénavant plus proche d’elle-même ; il nous appartient collectivement de l’organiser, sur des bases justes et durables.

Les motifs qui appellent notre société à se reconstituer sont graves et nombreux et les faits qui viennent de lui exploser à la figure en sont un de plus, suffisant à soi seul. Il se trouve, aux marges de nos villes, une France de troisième zone, racisée, ignorée, méprisée, exploitée. Ceci est tellement notoire qu’il ne devrait même pas être nécessaire de le répéter. Si la métempsychose était chose possible, je suggérerais à quiconque n’a pas pu s’en convaincre dans sa vie propre d’emprunter pour quelques jours l’existence d’un gamin noir ou « arabe » des cités, de faire l’expérience du contrôle routier ou de l’entretien d’embauche. La comprenette étant trop lente, le temps est venu du rapport de force ; tout cela est écrit depuis quarante ans au moins. Un enfant est mort par la main de l’État ; en réponse, d’autres se sont mis en révolte, avec parfois la détermination de l’adulte, parfois l’inconscience de l’adolescent. Reste à savoir ce qu’on fait de ce drame, une fois le calme revenu – question à ce stade éminemment théorique, j’en conviens.

Mon option ici n’étonnera guère mais je ne vois pas qu’une autre soit possible : la Cité doit s’ouvrir ou périr des maux qu’elle a cru conjurer en se fermant. S’ouvrir dans sa dimension régalienne, cela a été dit mille fois : police, recrutement, formation, doctrine d’emploi, etc. Mais le dernier maillon de la chaîne ne changera rien si l’essentiel ne précède ni n’accompagne : logement, urbanisme, services publics, école, emploi, droits sociaux, etc. S’ouvrir, c’est-à-dire s’ouvrir de partout, afin de changer la manière dont elle se perçoit elle-même et agit sur elle-même. Mettre en adéquation le réel et la représentation. Sur ces bases partagées on pourrait commencer à parler sérieusement. Cela serait autre chose que de rappeler les parents à leurs responsabilités pour mieux minimiser celles de l’État dans la faillite de la liberté, de l’égalité et de la fraternité promises par la République.

Cette reconstitution comporte forcément un volet politique et ce volet politique est évidemment matriciel. Regardez les organes de pouvoir ou de représentation du pouvoir, puis demandez-vous comment on en est arrivé là. Porter un regard lucide sur certains actes graves qui ont été perpétrés dans un mouvement aux mobiles forcément divers – d’aucuns incontestables, d’aucuns condamnables – ne doit à aucun prix distraire de la cause première, ni du drame originel. Ce drame, c’est bien sûr celui de Nahel, mort à 17 ans ; c’est à un degré moindre celui de plusieurs générations d’« enfants d’immigrés » qui n’existent pas pour le « pays légal », ou alors préférablement sous les figures divertissante ou effrayante du footballeur et de l’émeutier. Même ainsi c’est encore trop pour certains qui de Le Pen à Ciotti voudraient voir cette jeunesse et cette population faire constamment profil bas, se fondre dans le décor. Si ce n’est pire : qu’est-ce que la cagnotte de Messiha, sinon une prime à la bavure.

Au contraire, la place des jeunes des quartiers, comme de tous les individus et groupes sociaux qui composent le peuple, est au cœur de la société politique, dans ses institutions. Faire de ce principe une réalité est le chantier qui devrait tous nous occuper. Probablement le tirage au sort, déployé à grande échelle, pourrait jouer ici un rôle d’accélérateur de citoyenneté, de transformateur civique et moral de la société. Jugez plutôt : trois à cinq cent mille personnes, prises dans la population selon la méthode des quotas, donc pour une part non négligeable dans les quartiers, pour composer des assemblées délibérantes régulièrement renouvelées. À la limite, restons ouverts sur les dispositifs : l’essentiel est que le peuple, dans sa diversité, se voie, se parle, et soit vu se parlant. Qu’il puisse prendre acte de sa matérialité, dans des enceintes où le conflit ne serait pas en permanence rallumé par les fantasmes et les logiques de conquête du pouvoir. Qu’il puisse constater ce qu’il est devenu, et ce qu’il demeurera malgré toutes les sombres prophéties. Cela ne serait pas encore suffisant, mais cela serait un pas dans la bonne direction.

La folie ambiante n’interdit pas d’œuvrer en ce sens. Dans le peuple, malgré les plaies sans cesse ravivées, des convergences s’opèrent. Près de cinq ans après les faits, le meilleur symbole en est encore l’image de ces gilets jaunes agenouillés, mains derrière la tête, par solidarité avec la « classe qui se tient sage » des lycéens de Mantes-la-Jolie. Comme quoi, en dépit de tous les grands discours, de tous les anathèmes, de toutes les diversions, l’expérience, les luttes partagées sont encore le meilleur moyen de faire société.

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Consentement populaire et puissance d’agir en commun. Note en vue et en faveur d’un futur programme constitutionnel

Printemps 2023 ; la France traverse une grave crise démocratique. D’un coup d’un seul, tous les défauts de la Ve République remontent à la surface ; l’inadéquation de ce régime constitutionnel à la société présente apparaît au grand jour.
Le recours au 49.3 pour faire passer en force l’injuste réforme des retraites a joué le rôle du révélateur.
Dorénavant, chacun peut voir que le peuple français n’a pratiquement plus de part à l’élaboration des décisions qui le concernent. Sans cela, comment expliquer qu’une loi rejetée par une si large majorité de citoyennes et de citoyens ait pu être adoptée, promulguée, et même seulement considérée par les gouvernants comme une option possible ?
Chacun peut voir également que le peuple n’a plus les moyens de remettre en cause les politiques qui lui portent préjudice : la manifestation est inopérante, les recours légaux sont voués à l’échec.
À l’arrivée, la situation politique est bloquée de bout en bout, en raison tant de la configuration politique issue de la séquence électorale de 2022 que du système institutionnel lui-même.

1/Pour résoudre la crise démocratique, il faut restaurer et les conditions du consentement populaire et la puissance d’agir en commun

C’est donc une affaire entendue : la crise actuelle trouve son origine dans un défaut général de consentement*, consentement que Macron a cru acquis une fois pour toutes lorsqu’il ne lui avait été accordé que dans la circonstance particulière de ses deux duels face à Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. À quoi il faut ajouter, pour être complet, que ce consentement était très abîmé dès avant 2017, du fait d’une longue succession de promesses non tenues et de renoncements de tous ordres depuis le « non » escamoté au traité constitutionnel de 2005.

Dès lors, une série de conclusions successives s’imposent d’elles-mêmes à l’esprit comme autant de lapalissades. Ces évidences, il n’est pas inutile de les exposer, afin d’avoir les idées bien au clair.

1° pour sortir de la crise, il faut restaurer les conditions du consentement populaire ;

2° pour restaurer les conditions du consentement populaire, il faut démocratiser le régime constitutionnel, donc réformer/réécrire la Constitution ;

3° sauf à vouloir l’enterrer dès l’origine, cette démocratisation du régime ne doit à aucun prix porter atteinte à la puissance d’agir en commun. Au contraire, il s’agit de retrouver – ou de découvrir… – cette efficace, au service de l’intérêt général, entendu ici comme l’application, au bénéfice de toutes et tous, de l’environnement et du vivant, d’un triple principe de justice sociale, écologique et sociétale.

À condition qu’on les aborde avec sérieux, les deux termes de la proposition – consentement populaire, puissance d’agir en commun ­ – ne sont nullement contradictoires, bien au contraire ; j’y reviendrai.

Certainement, on se fourvoierait en croyant trouver le Graal, la pierre philosophale ou que sais-je encore de chimérique dans quelque dispositif constitutionnel que ce soit.
Quiconque d’ailleurs croirait possible d’améliorer la société en touchant à ses « lois fondamentales » aurait avantage à se montrer prudent dans ses procédés et modeste dans ses attentes : en la matière, l’espérance déçue peut être plus redoutable que l’espérance insatisfaite.
Pour autant, il faut bien admettre que toute société est nécessairement conduite, à certains moments de son histoire, à rechercher de nouvelles manières de se constituer ou de se reconstituer, ceci pour acter certaines évolutions ou dépasser certaines crises.
Or nous vivons précisément un tel moment.

2/Parmi les partis politiques, seule la coalition de gauche a intégré l’urgence de la réforme démocratique

Au global, la classe politique semble avoir à peu près identifié ces enjeux. Les a-t-elle pour autant compris ? C’est à voir, cela dépend des cas. Ainsi, si plus aucun parti ne semble faire comme si de rien n’était, la plupart d’entre eux laissent toutefois le régime glisser sur sa pente naturelle, voire l’y poussent. Cette pente, précisons-le, peut avoir plusieurs déclinaisons, toutes inscrites comme des destins possibles dans l’ADN de la Ve République : présidentialisation assumée ; mue autoritaire (sous couvert de l’appel au peuple) ; démocratisation de second rang. (NB : les trois issues ne sont pas forcément incompatibles.)
Naturellement, le « groupe de travail transpartisan » de la présidente Braun-Pivet, largement diversif, ne changera rien à l’affaire. « Jupitérien » impénitent, Macron ne modifiera aucunement ses vues sur le pouvoir : son fondement, son exercice, son organisation ; l’expérience nous en convainc.

Une seule force politique se détache franchement du lot : la coalition de gauche, avec son projet de VIe République, porté en 2012, 2017 et 2022 par le candidat Mélenchon et repris, après cette dernière échéance, dans le programme de la Nupes. Avec, à la clef, plusieurs modalités envisageables : la convocation d’une assemblée constituante – c’était la position traditionnelle de LFI – ou la réunion d’une convention citoyenne.
Au regard de l’intention affichée, la coalition de gauche semble donc se placer à la hauteur de la situation, en termes de projet et de méthode, ouvrant ainsi la perspective d’une solution légale, soit par le mécanisme des élections, soit par l’accompagnement idéologique d’un événement constitutionnel de type convention citoyenne.
Voyons maintenant ce qu’il en est du fond de ce projet, tel qu’il apparaît dans les plus récents documents programmatiques de la Nupes – vieux d’une année déjà.

3/Le projet de VIe République porté par la Nupes doit être précisé et complété pour devenir un véritable programme constitutionnel

Dans son épure, la VIe version Nupes (et donc, originellement, version LFI) propose l’« abolition de la monarchie républicaine » et l’« établissement d’un régime parlementaire stable ». Je ne crois pas utile d’entrer ici dans le détail des propositions (scrutin proportionnel, fin du parlementarisme rationalisé…). Je me contenterai de rappeler que l’idée d’ensemble s’inscrit dans une tradition issue de la Révolution française, principalement forgée, en matière constitutionnelle, dans le combat contre l’exécutif (c’est-à-dire contre le spectre de la monarchie). Historiquement, nul républicain ne renierait une telle filiation. C’est celle-là même qui conduisit Mendès, Mitterrand et le PCF à critiquer les modalités d’avènement du régime gaullien et sa philosophie générale lorsque celui-ci allait être porté sur les fonts baptismaux.
Cependant, au point où nous sommes de la crise démocratique, nous ne pouvons plus en rester au stade de l’épure, ni encore moins demeurer prisonniers d’une tradition constitutionnelle passée.
Au vrai, la formule même du « régime parlementaire stable » interroge. S’agit-il de retourner à une IVe quelque peu fantasmée, version Mendès ? De faire un pas de côté vers nos voisins européens ? À regarder derrière nous (l’expérience à la fois glorieuse et tragique de la IVe), comme autour de nous (les difficultés des régimes parlementaires partout en Europe), ce slogan n’est pas très engageant en tant que tel. Sauf à être précisé, donc complété, voire réinventé, au moyen d’un ou plusieurs éléments nouveaux – ou préférablement d’un système d’éléments nouveaux.

4/Pour restaurer les conditions du consentement, le RIC, qui figure dans le projet LFI/Nupes, paraît incontournable

Nous en arrivons au contenu véritablement neuf du programme LFI/Nupes, parmi d’autres types d’intervention populaire : le référendum d’initiative citoyenne, proposé depuis 2012 par le candidat Mélenchon, nettement précisé depuis lors. (NB : je ne mentionne pas ici des options propres aux partis composant la Nupes, comme la Chambre du futur, portée part des écologistes, qui pourrait à plusieurs égards entrer dans mon point 5/ ci-apres.)
Ancien comme la Révolution française et cependant encore en avance d’une ou plusieurs réformes démocratiques, déjà pratiqué en de nombreux endroits du monde – en Suisse, notamment –, mantra des gilets jaunes en 2018, ce RIC devenu si emblématique a vocation à devenir un dispositif important dans une future architecture institutionnelle. Permettre une traduction légale et politique des mobilisations populaires, à travers le droit du peuple d’intervenir dans le débat public pour proposer ou contrer une loi, révoquer un élu ou engager une révision de la Constitution, est assurément une exigence démocratique de premier ordre. Plus encore après la faillite du référendum d’initiative partagée, dont les conditions par trop restrictives ont été démontrées en 2019 sur ADP et tout récemment sur la loi « retraites ».
Pour autant, sera-ce assez pour résoudre la crise du consentement dans un cadre préservant la puissance d’agir en commun ? S’il paraît difficile de répondre catégoriquement à cette question, considérons néanmoins le fait que, quand bien même la société s’accoutumerait au RIC au point de l’utiliser fréquemment, ce dispositif n’en resterait pas moins un élément unique et ponctuel de démocratie directe dans un système d’éléments appartenant au régime dit « représentatif » et fonctionnant de manière continue. Partant, on peut formuler l’hypothèse que le RIC ne sera vraiment efficace et vraiment durable que dans la mesure où il sera adossé à une évolution profonde du système représentatif.

5/Restaurer les conditions du consentement suppose parallèlement de transformer les institutions représentatives pour y faire enfin entrer le peuple

À ce stade et après nous être efforcés d’avancer pas à pas, on me permettra une assertion brutale, à savoir que s’il est envisageable – et, par ailleurs, souhaitable – d’intégrer des formes de démocratie directe à notre système politique futur, il paraît en revanche inenvisageable – ni même souhaitable –, à échelle constante, de fonder ce système politique uniquement ou même principalement sur une base de démocratie directe.
Une fois ces prémisses admises, on conviendra que l’enjeu n’est pas tant de faire exister des formes résiduelles de démocratie directe à côté (ou en face) des institutions, mais de changer, au moins en partie, les termes de la représentation, de sorte que de symbolique et en grande partie artificielle, celle-ci en vienne à rendre fidèlement compte de la réalité des forces sociales. Dit autrement, il s’agit de faire entrer le peuple dans les institutions, de l’y rendre vraiment présent, de supprimer, autant qu’il est possible, la frontière qui sépare la société politique de la société réelle. (NB : par peuple, j’entends ici l’ensemble des citoyen·ne·s et des travailleur·euse·s. Je tiens en effet pour acquis qu’il n’est plus possible de se contenter de la fiction d’une représentation assurée uniquement par des professionnels de la politique, quelle que soit leur valeur et la qualité de leur engagement individuels et collectifs.)

6/Pour faire entrer le peuple dans les institutions, le dispositif des assemblées délibérantes permanentes tirées au sort semble être la voie la plus appropriée

Ceci, on le pressent, n’a rien d’une digression métaphysique. C’est en effet précisément à cet embranchement de notre réflexion que nous nous apprêtons à en retrouver le cours principal, à travers le dispositif des assemblées permanentes tirées au sort.
L’objet de la présente note n’est pas de rentrer à fond dans la défense de cette idée à la fois antique et novatrice. Il existe sur ce point une littérature abondante et de nombreux militants en parleraient bien mieux que moi.
Aussi me borderai-je à 1° un constat, 2° une observation 3° et une proposition opérationnelle empruntée au collectif qui l’a ingénieusement forgée : Sénat Citoyen.
Ainsi, je crois être en mesure d’avancer prudemment.

1° Le constat, c’est l’expérience institutionnelle que nous avons pu tirer des assemblées tirées au sort à travers les conventions citoyennes sur le climat et sur la fin de vie.
Ces conventions citoyennes ont prouvé que la chose était possible – ou du moins nous l’ont rappelé, si l’on n’a pas perdu le souvenir de la démocratie athénienne.
Elles ont certes connu des échecs (quelle institution n’en connaît pas ?), mais ceux-ci, les plus significatifs en tout cas, ne leur appartiennent pas en propre : ils procèdent du contexte institutionnel où l’expérience a pris corps – pour faire très court : la « monarchie républicaine », le parlementarisme rationalisé, la technocratie, les lobbies.

2° L’observation est double.

a/Pour la première fois peut-être dans l’histoire des régimes représentatifs français, les classes populaires ont à peu près pesé, dans le sein même d’une assemblée délibérante – certes purement consultative, mais c’est un autre problème –, le poids qu’elles pèsent effectivement dans la société réelle.

À ce sujet, faisons plutôt parler les chiffres :
–> 40 à 45 %, c’est la proportion d’ouvriers et d’employés parmi la population active ;
–> 2 à 3 %, c’est la proportion d’ouvriers et d’employés siégeant à l’Assemblée nationale ;
–> 25 %, c’est la proportion d’ouvriers et d’employés ayant siégé dans la Convention citoyenne sur le climat.

Je me limite à ce seul exemple des catégories socio-professionnelles parce qu’il est particulièrement illustratif, mais on pourrait démultiplier les comparaisons, selon l’origine géographique, le niveau de diplôme, l’âge, le sexe. Toutes, en termes de représentation, seraient à l’avantage du tirage au sort.

b/Cette assemblée citoyenne a été capable de produire en quelques mois, sur un sujet majeur, un corpus de propositions audacieux, inventif, adapté sous maints aspects aux défis de notre temps. Si nous n’en avons pas vu l’application, c’est, faut-il le rappeler ? parce que ce corpus a été savamment passé à la moulinette de la technocratie et du parlementarisme rationalisé. Il y a tout lieu de penser qu’une même assemblée, formée à titre permanent dans une architecture institutionnelle conçue pour la recevoir, produirait ses pleins effets.

3° La proposition, c’est de faire de ce dispositif des assemblées délibérantes permanentes tirées au sort l’élément-clef d’un programme constitutionnel. C’est-à-dire de prévoir l’intégration à nos institutions du modèle de la convention citoyenne tirée au sort sur une base permanente, avec des pouvoirs d’initiative, de contrôle, de censure et de garantie des droits d’initiative citoyenne.
Ceci justement est appelé à s’articuler avec le RIC : le peuple proposant, délibérant, contrôlant tout à la fois dans les institutions et hors ces mêmes institutions. Les deux s’accompagnent en s’équilibrant.

Une déclinaison particulièrement intéressante de ce dispositif a été développée par le collectif dont je parlais plus haut, Sénat Citoyen, dont le principe, tiré de son Manifeste, peut être résumé ainsi :

« pour tout pouvoir constitué, exécutif et/ou assemblée élue, il existe une assemblée citoyenne tirée au sort qui questionne, fait des propositions et contrôle ce pouvoir ».

Donc : une seconde assemblée tirée au sort au niveau national et, sur le même modèle, des assemblées tirées au sort au niveau des territoires.
Je laisse les démocrates curieux se rendre sur le site du collectif Sénat Citoyen, prendre connaissance de la proposition de loi constitutionnelle qui s’y trouve et se faire leur propre opinion.
J’en reviens pour ma part au point de départ du mon raisonnement, qui m’amène aussi, progressivement, à sa conclusion.

7/La restauration de la puissance d’agir en commun procède de la restauration des conditions du consentement 

Je l’ai assez répété : on ne résoudra pas la crise démocratique si l’on ne restaure pas, dans un même mouvement, et les conditions du consentement populaire, et la puissance d’agir en commun.
Par le passé, nos républiques ont souvent cherché à faire coexister ces principes ; rarement elles y sont parvenues ; ce n’est pas le lieu de restituer le détail de cette histoire.
Dans notre expérience constitutionnelle la plus récente, cette quête et ces échecs ont abouti, après maints rebondissements, à l’établissement puis à l’installation dans la longue durée de la Ve République, donnant l’illusion d’une sorte de fin de l’histoire républicaine fondée sur un prétendu équilibre entre la souveraineté populaire – contenue essentiellement dans l’élection présidentielle au suffrage universel direct – et l’efficacité gouvernementale.
Soumis à des contradictions équivalentes (non pas en qualité, mais en quantité) à celles qui avaient fait exploser la IVe République, ce mythe gaullien vient de voler en éclat.
La IVe avait eu la Guerre froide et la décolonisation ; nous avons une crise protéiforme, sociale, écologique, sociétale, technologique, d’une nature inédite, d’une ampleur inouïe. Aucun régime ne sort indemne d’une telle succession de chocs, qui à maints égards agissent comme des révélateurs : révélateurs de l’instabilité gouvernementale sous la IV; révélateurs de la déconnexion et de la délégitimation d’un exécutif réputé pour sa stabilité sous la Ve. Les maux sont différents, les implications sont apparemment différentes, mais, au total, la crise sous-jacente est toujours une crise du consentement.

S’il en est ainsi, c’est que, loin d’être des valeurs nécessairement opposées ou même hiérarchisées, le consentement et l’efficace – disons, le demos et le kratos – doivent aller de pair. Mieux : le premier contient le second, il en est la condition nécessaire et suffisante.
C’est une vérité d’une extrême banalité que d’affirmer qu’en démocratie, l’efficacité de la loi procède du consentement des citoyens-sujets de droit. Et cependant il est bon de rappeler cette vérité.
Or il se trouve qu’y compris dans leurs expressions les plus démocratiques, nos républiques n’ont jamais complètement cessé d’adhérer à la vieille conception de la sanior pars, selon laquelle certains sont fait pour gouverner, d’autres, pour être gouvernés. Autrement dit : dans notre histoire la plus longue, les conditions  proprement institutionnelles du consentement n’ont jamais été remplies que de manière très fugace.
Il est temps de passer à autre chose, d’aller trouver le consentement à sa source, dans la réalité d’une société appelée à siéger dans ses propres institutions.

Résumons-nous.
1° il est clair que les modalités d’élaboration du consentement ne peuvent plus être envisagées au seul prisme du régime représentatif tel que celui-ci a été compris jusqu’aujourd’hui.
2° il n’est pas moins clair que le principe de la représentation ne doit pas être abandonné mais réévalué, réinterprété. La pratique des assemblées tirées au sort, dans le cadre proposé ci-dessus, travaillant dans un double rapport de séparation et de coopération avec des pouvoirs élus redevenus de véritables commis de confiance – non pas pour les bouleverser inconsidérément, mais pour les aiguillonner, les contrôler, les dépasser parfois –, s’impose à l’intelligence comme un pas à franchir pour faire retrouver le consentement et, du même coup, l’efficace.

Ce serait un petit pas pour les partis qui consentiraient à s’en approprier l’idée, au prix certes d’un aggiornamento, mais ce serait surtout un pas de géant pour la démocratie qui en tirerait les fruits.

8/Il appartient à la coalition de gauche de forger son programme constitutionnel en puisant dans les propositions de la société civile

Nous avons passé suffisamment de temps sur le fond ; venons-en à la méthode.
Sur ce chapitre, à l’heure qu’il est, trois choses sont à peu près certaines :
1° nous ne pouvons pas savoir si la réforme démocratique adviendra (qu’on l’appelle ou non « VIe République ») ;
2° nous ne pouvons pas plus prévoir les modalités de son éventuel avènement ;
3° nous pouvons toutefois pressentir qu’elle ne sortira pas « tout armée » d’une assemblée constituante/d’une convention citoyenne : qu’elle devra d’abord avoir été préparée, élaborée, sinon dans ses modalités les plus précises, du moins dans ses principes directeurs. Si j’étais provocateur, je dirais qu’il faut à la démocratie son « discours de Bayeux ». Un discours de Bayeux inversé, bien entendu. En tout cas une vue d’ensemble, convaincante et par conséquent rassurante, sur le contenu et les conditions du passage à une démocratie plus complète.

Ici, les partis peuvent retrouver leur rôle dans la formation des idées politiques, et pousser ce rôle à fond… pour autant qu’ils consentent à réévaluer quelques-unes de leurs conceptions, notamment quant aux conditions de formation et d’expression de la souveraineté populaire.
La gauche, sur qui repose, depuis le printemps 1789, toute la charge de l’imagination politique, est plus que jamais placée devant ses responsabilités.
Si sa coalition n’est pas au rendez-vous, alors, qui le sera ? Ne perdons jamais de vue que l’extrême droite est, quant à elle, parfaitement au clair sur ses idées, et d’ailleurs parfaitement duplice dans ses discours. Ainsi prétend-elle elle aussi répondre à la crise du consentement et de l’efficace… mais en maintenant le pouvoir dans la forme que lui a donnée la Ve République, adossé, pour faire bonne mesure, à une pratique référendaire du type « miroir aux alouettes ».

Sur ce point, les choses peuvent évoluer en bien.
Par exemple, la Nupes, à l’Assemblée nationale, a mis en place un groupe de travail qui examine les voies du passage à la VIe République. Ce groupe, animé avec talent par Raquel Garrido (LFI) et auquel participent un certain nombre de ses collègues parmi lesquels Elsa Faucillon (PCF), Jérémie Iordanoff (EELV) et Marietta Karamanli (PS), a tenu sa première conférence de presse le 16 mai. Il est une enceinte toute désignée pour jeter les ferments de ce qui pourrait devenir un jour un programme constitutionnel commun.
La présente note a aussi pour objet d’apporter de l’eau à ce moulin.

Ce futur programme se trouve quelque part, entre la capacité d’organisation, de structuration du débat public et d’impulsion des partis, leur histoire critique – plurielle, du reste – vis-à-vis de la Ve République, et la capacité d’invention de la société civile. 
Dans ce dernier champ, les propositions sont importantes et de qualité. Il y a le collectif Sénat Citoyen dont j’ai parlé plus haut. Il y a le Collectif pour une Convention Citoyenne sur la Démocratie, qui vient de lancer une pétition sur la plateforme du Conseil économique, social et environnemental, à signer ici, visant à la réunion d’une convention citoyenne tirée au sort chargée de formuler une proposition de réforme de la Constitution et des institutions.
Il y en a encore bien d’autres, qui souvent avancent de conserve.
Comme on dit : « y a plus qu’à ».


* Je dois à Dominique Chapuy, de Sénat Citoyen, la mobilisation de la notion de consentement, qui me semble en effet devoir tenir une place centrale dans les questions qui nous occupent.

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les casseroles du 17 Avril

Nous nous retrouvons sur ce parvis où sonnent chaque jour, vers midi, Le Bon roi Dagobert et Le Temps des cerises : au pied de la Maison commune, devant le mausolée des rois.
Seulement, en ce lundi 17 avril au soir, les casseroles ont remplacé le carillon.
Du timbre des panoplies de cuisine on couvre symboliquement le soliloque de Romulus Gaullustule.
On est là quelques dizaines, deux cents peut-être, bataillon rassemblé à la hâte par l’astucieux mot d’ordre d’ATTAC, pour nos retraites et la démocratie. Sans doute, dans cette joyeuse compagnie, nous sommes plusieurs à nous dire que, si d’autres sont autant par chez eux, alors nous devons être assez nombreux, partout en France.
Dans le vent d’un printemps encore froid, on forme cercle, quelques drapeaux frissonnent.
Des malins ont déployé leur banderole : « MONARC DÉGAGE ». L’anagramme est bien trouvée ; elle décorera les grilles de la mairie.
Après trente minutes de ce concert, on se met en marche vers l’ouest, vers Saint-Denys-de-l’Estrée.
Alors, immeuble après immeuble, les façades décrépites s’animent : on passe la tête, on applaudit. Aux méprisés des cortèges se joignent les ignorés des banlieues. Parmi eux, les travailleurs de force et de peine à qui l’on refuse même le droit de vote.
Tout du long le monde se presse aux fenêtres ouvertes en grand. De couvercles il fait des cymbales, et les vendeurs de clopes, les marchandes de bissap et d’arachides esquissent sur les trottoirs de gracieux pas de danse.
Jamais sans doute la rue de la République n’a si bien porté son nom – la République, la Vraie, celle qui ne fait pas honte au pauvre, celle qui ne calomnie pas l’étranger.
Sous les cerisiers nains chargés de lourdes fleurs, la procession va son chemin, reprend en boucle l’hymne des Gilets jaunes :
« Pour l’honneur des travailleurs
« Et pour un monde meilleur… »
Les tramways freinent au carrefour. Des passagers observent, l’œil complice ; des livreurs klaxonnent.
C’est sûr, il se passe quelque chose.
Mauss a écrit que c’est l’opinion qui fait le magicien ; or, voilà que le charme se rompt.
Le monarque discourt mais personne n’en a cure ;
L’avenir déjà s’écrit sans lui ;
Le peuple s’est levé ;
Il ne se couchera plus.
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redonner du contenu à la démocratie… ou se résoudre à la voir périr

Au point où nous sommes du pourrissement de notre vie politique, il peut être utile de dégager quelques idées, quelques propositions. Non sans s’être préalablement rafraîchi la mémoire.

Le 14 avril, donc, le Conseil constitutionnel, hérissé de gendarmes comme Petibonum de légionnaires romains, valide la loi sur les retraites. Il rejette en même temps le référendum d’initiative partagée qui tendait à empêcher ce dispositif injuste, mais temporise, en annonçant l’examen d’un second RIP, déposé aux mêmes fins par les partis de la Nupes. Dans la foulée, Macron promulgue, enterre la démocratie sans fleurs ni couronnes. Borne, elle, se risque à l’oraison funèbre : affirme qu’il n’y a « ni vainqueur, ni vaincu », fait applaudir Dussopt par la poignée de figurants qui forment le « parti présidentiel ».

Jupiter voudrait voir la crise derrière lui lorsqu’elle est justement tout autour, au pied de l’Olympe où il s’est retranché. Comme je l’écrivais le 16 mars au soir, de retour de la place de la Concorde : cette crise déborde largement le sujet des retraites. Avec le recours au 49.3, elle a pris un tour foncièrement démocratique. Pour tout le monde ou presque il est désormais clair que l’actuel régime constitutionnel ne permet plus de faire coïncider la politique et les aspirations populaires : le droit et la justice, la légalité et la légitimité. C’est ce à quoi il nous appartient de remédier, de préférence avant que la logique césariste de la Ve ne produise une « solution » plus nettement « illibérale » : autoritaire, réactionnaire, xénophobe, etc.

Dans cette optique, il ne paraît pas bien compliqué de nommer les problèmes les plus graves, les plus urgents. Les mouvements sociaux des dernières années, la révolte des gilets jaunes, la lutte contre la réforme des retraites, les ont nommés bien avant nous.
Il s’agit principalement du fait :
1/qu’un individu peut décider de tout, seul contre tous ;
2/que la société réelle n’est pas représentée dans les institutions censément représentatives, et n’a pas de part directe à la prise de décision*.

En termes constitutionnels, ces constats impliquent :
1/de revoir la place du président de la République dans notre système d’institutions : réduction de ses pouvoirs et/ou suppression de l’élection au suffrage universel direct, voire abolition pure et simple de la présidence de la République.
2/de revoir la place du peuple dans ce même système d’institutions : mise en œuvre d’assemblées permanentes tirées au sort et du référendum d’initiative citoyenne.

Ce ne sont certainement pas là les seuls enjeux mais ce sont en tout cas les plus brûlants.

Dans le meilleur des mondes, les partis de gauche ne devraient plus avoir d’autre priorité que de s’en saisir, pour donner du contenu à la transformation démocratique qu’une majorité de Françaises et de Français semble appeler de ses vœux. Ceci pourrait même être le ferment d’une alliance renouvelée, bien plus solide, entre les formations de la Nupes.
Dans la réalité, on table encore trop volontiers sur le « jeu » normal d’institutions qui ont perdu depuis belle lurette tout caractère de normalité : on se contente de déclarations nécessaires mais encore trop vagues sur la VIe, et la question démocratique passe à l’as**.

Peut-être le RIP, s’il est admis le 3 mai par les juges de la rue Montpensier, permettra de bâtir un front tout à la fois social et démocratique. Force est de reconnaître que cinq millions de signatures seraient une bonne base pour des succès futurs.
En attendant, ce flou, sur fond de colère sociale – aujourd’hui exprimée, demain, rentrée – profite à Le Pen, qui pourra dire, comme Macron avant elle : « moi ou le chaos ».
Sans solution légale, portée par les acteurs des institutions et appuyée sur un large consentement populaire, c’est ce à quoi nous courons à brève échéance. En d’autres termes il faut redonner du contenu à la démocratie ou se résoudre à la voir périr.

En attendant un éventuel déclic, c’est aux citoyen·ne·s à prendre les devants. Certains le font déjà, regroupés en collectifs dont on a parlé dans ces pages. De prochaines initiatives permettront d’accroître encore leur nombre, d’ouvrir des perspectives à une société qui ne trouve autour d’elle que des murs ou des impasses. Ce ne sera pas encore assez ; ce sera au moins quelque chose.


* Je n’ai pas jugé indispensable ni au 1/ ni au 2/ d’ajouter « pour ainsi dire ». En démocratie, la caricature a ses vertus. On apportera de soi-même les nuances qui s’imposent.
** Il faut toutefois mentionner ici le travail mené avec autant de sérieux que de pugnacité par la députée Raquel Garrido et quelques-uns de ses collègues dans le cadre de l’intergroupe Nupes. On voudrait voir ce travail bien plus suivi, bien plus soutenu. On compte beaucoup sur sa traduction politique.

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c’est le moment ou jamais d’exiger la VIe République

Sur ce blog on trouve beaucoup (trop ?) de texte. Ici l’on a fait court, quelques idées claires sous forme de tract (recto-verso) à télécharger, partager, diffuser comme bon vous semble. La VIe République n’appartient à personne : elle appartient à tout le monde.

C'est le moment ou jamais d'exiger la VIe République

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face au passage en force de Macron, exigeons la VIe République

Comme il était prévisible, la motion de censure « transpartisane » portée par Courson et le groupe LIOT a échoué… à 9 voix près. Borne et sa réforme y gagnent un répit de pure forme ; Macron, responsable de facto d’un passage en force légal mais illégitime en sort politiquement démonétisé. Certes, le dispositif le plus emblématique du « parlementarisme rationnalisé » a déjà été utilisé à maintes reprises au cours des dernières décennies, avec parfois des conséquences éruptives – on se rappelle que le mouvement Nuit debout est né après un autre passage en force, en l’occurrence sur la « loi Travail ». Mais alors les contradictions de l’actuel régime constitutionnel ne nous avaient pas à ce point éclaté au visage. Désormais, la situation est bien différente. La séquence électorale de 2022 a réuni les conditions d’une crise de régime que ce centième recours à la disposition honnie vient de précipiter [… ] Tribune parue le 21/03/2023 sur QG.media, à lire en intégralité sur ce site.

À lire également : la chronique « Contre-pouvoir » publiée de mai 2021 à juin 2022 sur QG.media.

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quel mot d’ordre ? la 6e République

La séquence parlementaire ouverte par le dépôt du projet de loi sur les retraites s’est close comme on pouvait s’y attendre : dans le geste d’un homme qui semble n’avoir plus que des vaisseaux à brûler.
En somme, en déclenchant le « 49.3 », Macron a préféré une victoire déshonorante à une défaite honorable ; une victoire grosse de revers futurs – à commencer par la motion de censure annoncée pour le 20 mars ; une victoire à la Pyrrhus.

Cette victoire est dangereuse pour Macron parce qu’elle se fait au prix d’une démonstration criante du caractère antidémocratique de l’actuel régime constitutionnel – je parle ici de son processus décisionnel.
Symptôme « technique » d’une crise de régime dans laquelle nous sommes entrés de plain-pied avec les élections présidentielle et législatives de 2022, l’épisode auquel nous venons d’assister en ce jeudi 16 mars 2023 est tout autant le symptôme des tares de notre société politique.
Ces tares, pour résumer, sont de deux ordres :

1/Les plus superficielles tiennent à la lettre et à l’esprit de la 5e République : ainsi des mécanismes du « parlementarisme rationalisé », cette manière polie, euphémisée, technocratique, de désigner la soumission constitutionnelle du Parlement au gouvernement, c’est-à-dire, en régime césaro-bonapartiste, au chef de l’État ;

2/Les plus profondes, les plus sournoises, tiennent aux mécanismes du régime « représentatif » tel qu’il est actuellement conçu et pratiqué sous nos latitudes, à travers l’exclusion de la société politique des classes populaires et de toutes les catégories minoritaires de la population. (Voyez par exemple l’Assemblée nationale, où l’on compte à peine 2 à 3 % d’employés et d’ouvriers, qui forment pourtant près de 45 % des forces vives de la société.) Ces tares-là sont le fruit d’une idée ancienne, qu’il nous faut absolument détruire, selon laquelle certains seraient faits pour gouverner, d’autres, pour être gouvernés.

Si donc, considérant ces tares en bloc, l’affaire des retraites doit nous donner une leçon profitable pour l’avenir, c’est qu’il ne peut exister de société juste sans démocratie complète. En d’autres termes : sans la participation égalitaire de toutes et tous à l’élaboration de la loi, dans un cadre garantissant les droits de la société dans le processus décisionnel.

À cet endroit précis, une voie s’ouvre. Une voie parallèle à celle des combats sectoriels (sociaux, climatiques…), une voie « radicale », en ce qu’elle prétend aller à la racine : questionner la manière dont sont rédigées les règles communes : par qui, comment.
Y a-t-il un problème plus urgent à résoudre, quand, partout, les intérêts du plus petit nombre menacent ceux du plus grand et les conditions mêmes de la vie sur terre ? quand, partout, les régimes autoritaires terrassent ou menacent les libertés publiques comme individuelles ?
Nous ne pouvons certes pas tout régler partout, mais nous pouvons au moins nous attaquer à notre cas, au cas de la France et de cette 5e République qui y éteint toute vie politique ; nous attaquer à ces vieux préjugés qui nous tiennent éloignés d’une démocratie plus complète.

C’est entendu : il faut une 6e République. D’où deux questions.

1/Qu’ajouter ? qu’enlever par rapport à l’actuelle ? Ici, il faut éviter de rester brumeux – car la brume profite à ceux qui s’y cachent. Il faut dresser quelques grandes idées. Au plan institutionnel stricto sensu, j’en retiens pour ma part principalement trois, déjà très partagées, que je livre pour amorcer ou nourrir la discussion :

a/La suppression de la présidence de la République, ou à tout le moins la suppression de l’élection présidentielle au suffrage universel direct et le retour, aux assemblées délibérantes, des prérogatives qui leur ont été arrachées.

b/L’instauration du tirage au sort dans ces mêmes assemblées délibérantes, par exemple sous la forme d’une seconde chambre doublée par des assemblées territoriales. Beaucoup y travaillent : on a déjà cité sur ce blog le Sénat citoyen, on pourrait parler également de la Chambre du futur. Discutons-en, mais ne minorons en aucun cas la légitimité de ces corps citoyens par rapport aux corps élus : cela serait une erreur fatale.

c/La démocratie au travail. Il est un fait que la démocratie ne saurait s’épanouir dans les institutions politiques si elle ne se déploie pas, comme un exercice quotidien, dans les lieux où les pratiques autoritaires s’affirment le plus spontanément et le plus aisément.

Mais faire la 6e République ne doit pas se résumer à des règles constitutionnelles. Il faut de nouveaux droits, conformes à notre époque. Qu’à cela ne tienne : la société est pleine de nouvelles aspirations.

2/Comment y arriver ? Comment passer du régime en crise à la démocratie régénérée, en évitant la case « pourrissement » que constituerait l’accession – hélas trop probable – au pouvoir d’une figure et d’un parti national-populiste ?
En empoignant tous les outils constitutionnels à notre disposition. Dans cette note, j’évoquais le référendum d’initiative partagé, à la main des parlementaires. Mais l’option de la Convention citoyenne pour le renouveau démocratique, portée par le collectif du même nom, est un autre chemin à emprunter, alternatif ou parallèle.
Sur ces terrains, beaucoup de militants s’activent. Tant mieux : la 6e République n’appartient à personne : elle appartient à tout le monde ; il est temps de s’en saisir, partout, tout le temps.

Justement, le plus urgent, au point où nous sommes, est que le mouvement social, aiguillonné par l’affront du 49.3, s’approprie cette revendication qui est la mère de toutes les batailles.
À la Concorde, ce jeudi soir, on commençait justement de voir fleurir d’autres slogans. Sur des panneaux, on pouvait lire : « 49.3 ; 6e République ». C’est un début. Tout vient à point à qui sait attendre.
Puisse alors ce mot d’ordre se diffuser, en même temps qu’il gagne en contenu, en densité. Qu’on se le dise : les mêmes qui ont intérêt à casser nos retraites, notre chômage, nos services publics, les mêmes qui ont intérêt à privatiser la société à exploiter le travailleur jusqu’à la dernière larme ont plus que tout intérêt à ce que les règles du jeu restent les mêmes.

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note au groupe de travail de l’intergroupe parlementaire Nupes sur la VIe République

Invité par la députée Raquel Garrido, aux côtés de la publiciste Charlotte Girard, du politiste Loïc Blondiaux et de l’historien du droit Edern de Barros, à participer à la première audition du groupe de travail de l’intergroupe Nupes sur la VIe République, je publie ici la note que j’avais préparée pour l’occasion.
L’audition,  les discussions avec Raquel Garrido et ses collègues députés Jérémie Iordanoff et Elsa Faucillon furent riches, bien plus que ne pourrait le laisser penser ce petit texte ; les prises de parole ont montré beaucoup de points de convergence, un certain nombre de constats, de craintes, mais également d’espoirs partagés ; une vidéo devrait en rendre compte prochainement. (La vidéo a été mise en ligne depuis la publication de ce billet et est visible ici).


Note à l’attention du groupe de travail
de l’intergroupe parlementaire Nupes sur la VIe République

Votre groupe de travail, dont l’objet est de « consolider une orientation commune sur les questions institutionnelles et plus spécifiquement sur le passage à une assemblée constituante par la voie parlementaire », m’a proposé de participer à une audition, ce 10 mars 2023, en tant qu’essayiste, auteur d’un livre paru il y a un an, La France contre le monarque.1
J’ai cru utile de me munir d’une brève présentation, en trois points et autant de questions, de l’état – toujours mouvant – de ma réflexion sur les sujets formant le cœur de vos travaux.

I/La VIe République, pourquoi ?  

En posant la question du « pourquoi ? », je ne prétends nullement entreprendre de vous convaincre de l’objet qui vous a précisément conduits à m’inviter devant vous. Nul doute en effet que nous sommes ici tous persuadés et des défauts de la Ve République et de la nécessité d’y remédier. Probablement partageons-nous aussi cette intuition et cette analyse que la séquence électorale de 2022 nous a fait entrer de plain-pied dans une crise de régime qui contient, au moment où nous parlons, et si nous voulons être tout à fait honnêtes avec nous-mêmes, plus de ferments de crainte que de ferments d’espérance.
Cependant, commencer par ce point de départ me semble être encore la meilleure manière d’« entrer » dans le sujet, aussi vrai que le constat, assez largement partagé dans la population, que notre « démocratie » ne tourne plus rond, n’a pas suffi jusqu’à présent à susciter dans l’opinion un mouvement massif de revendication en faveur de la rénovation des institutions.
S’il en est ainsi – j’en formule en tout cas l’hypothèse – c’est probablement que cette question du « pourquoi ? » a jusqu’à présent été traitée en termes trop théoriques, trop abstraits, le beau mot d’ordre de la « VIe République » ou même la promesse d’instauration d’un « régime parlementaire stable » ne voulant pas dire grand-chose pour quiconque n’a pas eu le loisir de se forger une opinion sur un enjeu à première vue éloigné des préoccupations du quotidien. Ce qui revient à dire que la question du « pourquoi ? » n’est pas réglée. Sous cet aspect, en soustrayant de larges parts de la vie publique à la délibération, au contrôle, au regard même des citoyens, la Ve République aura fini par accomplir la sombre prédiction de Mitterrand : « rendre impossible le rassemblement des forces populaires et vider de sa substance une République que le peuple s’habitue à ne plus connaître, à ne plus aimer. »2

Heureusement, la révolte des gilets jaunes nous a montré qu’il n’y a aucune fatalité, que nous sommes collectivement capables de nous réapproprier ces enjeux. Et il a accompli ce tour de force en réencastrant le social dans le politique, en combinant notamment des revendications telles que le retour de l’impôt sur la fortune, la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité et le référendum d’initiative citoyenne. Cette conjonction est d’ailleurs un motif classique des grands mouvements populaires : l’histoire et l’observation du monde nous réapprennent continuellement que les grandes poussées démocratiques ont lieu lorsque les mots d’ordre constitutionnels et sociaux vont de pair. Ce fut le cas à presque chaque étape de la Révolution française et, pour prendre des exemples contemporains, on pourrait aussi bien parler du Chili ou, hélas avec un violent retour de bâton, des printemps arabes.
Plus de trois ans après le surgissement populaire des gilets jaunes, réprimé dans sa chair et maltraité dans ses mobiles et ses intentions, tout reste encore à faire, et je crois qu’avant même de s’interroger sur les voies d’une éventuelle assemblée constituante – ou, disons, parallèlement – il importe de travailler à renouer ce lien demeuré intime mais devenu pour beaucoup invisible entre, d’une part, les enjeux d’ordres social, environnemental ou culturel et, d’autre part, les enjeux « constituants ».
En somme, le moment est venu d’en revenir au théorème le plus basique de la démocratie, à savoir  qu’il ne saurait y avoir de justice sociale, ni de justice d’aucune sorte, sans participation égalitaire des individus à l’élaboration et à l’application de la loi.
Ceci trouve une illustration dans le projet de réforme des retraites actuellement débattu au Parlement. Je suis frappé à cet égard qu’on ne pointe pas ce fait pourtant criant qu’avant d’être le produit d’une certaine majorité dans une certaine configuration politique, ce projet, comme d’ailleurs ceux qui l’ont précédé, est le produit d’un certain régime de pouvoir dont les classes populaires sont pratiquement absentes.
D’où le caractère à mon sens absolument central et incontournable, dans la perspective de l’élaboration d’une nouvelle constitution, de la prise en compte du tirage au sort pour la désignation des membres des assemblées délibérantes.

II/La VIe République, comment ?

J’ai présenté en quelques mots la raison pour laquelle je crois urgent et nécessaire de répondre à la question du « pourquoi ? » ; j’en viens à la question du « comment ? ».
Cette question est double : premièrement : faut-il une assemblée constituante ? et, deuxièmement, dans la mesure où l’on aurait précédemment répondu par l’affirmative : comment l’obtenir ?

1/Le point de savoir si la transformation démocratique doit passer par une constituante ou par les voies traditionnelles de la réforme constitutionnelle est éminemment politique ; il n’appelle pas de réponse « dans l’absolu ». Je me contenterai donc, sur ce sujet, de partager quelques idées, en rappelant que l’objectif de la constituante nous situe dans une certaine expérience historique dont l’origine pour la France est la révolution du tiers état des mois de mai à juillet 1789, et également dans une certaine expérience de l’actualité internationale – je pense ici au cas déjà cité du Chili.
Bien sûr, l’histoire, qui « n’est pas notre code », pour reprendre la formule fameuse de Rabaut Saint-Étienne, ne nous dit nullement si cette expérience est le seul cadre imaginable pour une transformation d’ampleur. Tout au plus pouvons-nous sentir que la profondeur de la crise actuelle, sociale donc autant que démocratique, appelle à opter pour les outils institutionnels :
a/les plus capables de dépasser les conservatismes des institutions et de leurs acteurs ;
b/les plus susceptibles de créer l’adhésion la plus large possible autour d’un projet commun de société politique.
Si l’assemblée constituante semble effectivement répondre à ces deux exigences, on ne saurait cependant l’envisager sans considérer qu’une telle méthode de transformation, apparemment enthousiasmante, pourrait également s’avérer risquée. Mais le statu quo institutionnel, dont on peut raisonnablement redouter, à court terme, une victoire du national-populisme dans les urnes, n’est certainement pas moins porteur de risques.

2/Le point de savoir comment obtenir la constituante souhaitée nous ramène vers un champ plus classiquement juridico-politique, mais non exempt d’incertitudes.
Après la séquence électorale de 2022, la voie traditionnellement proposée par la France insoumise puis par l’Union populaire du recours à l’article 11, premier aliéna, de la Constitution, est naturellement fermée jusqu’à nouvel ordre.
Dès lors, les possibilités constitutionnelles de déclencher la réunion d’une assemblée constituante semblent bien minces. Le référendum d’initiative partagée de l’article 11, troisième alinéa, le pourrait-il ? Je laisserai les spécialistes du droit public développer leurs vues sur ce point, pour m’essayer plutôt à une compréhension plus générale, quoique forcément réductrice, du moment que nous vivons, des perspectives auxquelles nous faisons face et des opportunités qui nous sont offertes.

III/ La VIe République, demain ?

Dans l’essai qui vous a amenés à m’inviter à parler devant vous, j’ai voulu documenter et illustrer l’approche suivant laquelle, dans le temps long de notre histoire « nationale », le pouvoir a longtemps été l’enjeu d’un antagonisme et d’une compétition entre ce que j’ai appelé l’Un et le Commun, et qu’il le demeure aujourd’hui.
L’idée en était la suivante.
De manière assez constante, en France, le « chef de l’État » s’est efforcé d’accaparer le pouvoir, d’incarner la souveraineté en étant tout à la fois le législateur et le représentant de ses peuples. Ceci se poursuit sous la Ve République, exemple topique, en régime « démocratique », d’une tendance historique lourde, qu’on a pu qualifier, dans le débat politique, de « monarchie présidentielle ».
De manière plus épisodique, plus éruptive, et plus ou moins consciente, mais avec des résonances historiques de long terme, des communautés, des compagnies, des corps constitués, des classes et des mouvements sociaux se sont efforcés de se réapproprier la souveraineté au nom du peuple ou de la nation.
Ces tensions n’ont pas été vaines, ni infructueuses, et beaucoup des libertés politiques que l’opinion commune, mi par habitude, mi par endoctrinement idéologique, attribue aux souverains, rois, empereurs et présidents qui ont « régné » sur « la France », ont en fait été arrachées de haute lutte. Ce qui m’a conduit à affirmer, en assumant la part nécessairement réductrice et caricaturale d’un propos par ailleurs largement nuancé au fil des pages, que la « France » comme société politique n’a pas été construite « par » les monarques, mais s’est au contraire, dans une large mesure, édifiée « contre » eux.
Depuis quelque temps, cette tension dont j’ai essayé de rendre compte – et qui est loin d’être une idée originale en soi – se fait à nouveau sentir. De la mi-2018 au début de 2020, on a vu les gilets jaunes, puis des rassemblements plus larges, manifester non seulement contre des politiques considérées comme injustes, mais incidemment, à travers notamment la revendication du RIC, en faveur d’un renforcement de la souveraineté populaire, donc contre la concentration du pouvoir toujours entre les mêmes mains.
Deux ans et demi plus tard, la configuration parlementaire issue des législatives de 2022 – sorte de proportionnelle de facto – a traduit également une volonté présente dans la société de changer cet ordre des choses ; sans doute également l’idée qu’il y a un « ailleurs » préférable, quelque part, tout autant dans les tréfonds de nos souvenirs que dans les brumes de notre imaginaire.
Évidemment, par-delà les débats du moment et parfois les querelles politiciennes, la question du pouvoir – donc de son partage, de sa répartition, de sa circulation dans la société politique – est redevenue un enjeu central. De fait, nous sommes revenus à ce schéma où s’opposent des dynamiques très dures.
D’un côté, sous couvert de quelques arrangements relativement marginaux, on veut globalement préserver les grands équilibres de la Ve République, fondée – et refondée, en 1962 puis en 2000 – sur les prérogatives exorbitantes du président et sur l’écrasement du citoyen par la mécanique plébiscitaire, dans une logique proprement césaro-bonapartiste. J’ai dit en quoi le statu quo était dangereux : ce cadre électoral idéal pour un Rassemblement national « respectabilisé » est tout autant un cadre politique idéal pour un exercice autoritaire du pouvoir. Bien entendu, une réforme telle que celle envisagée par le président de la République – dont on devine déjà les contours –, s’inscrivant dans le même état d’esprit, ne paraît pas de nature à écarter ce danger.
D’un autre côté, il se trouve, à l’Assemblée nationale, une large alliance de gauche, élue notamment sur un programme où figurait le passage à la VIe République, et dont l’immense responsabilité de tenir sa ligne est d’autant plus grande, dans l’époque où nous sommes, que la menace autoritaire est actuelle, nourrie par les crises politiques et géopolitiques à répétition. Ceci doit nous convaincre que la possibilité existe, à l’état potentiel, d’un avenir moins sombre.

Cette possibilité est en l’état très fragile, mais ne pas chercher à la réaliser pourrait un jour s’avérer avoir été une terrible occasion manquée.
Pour évoquer à nouveau la voie mentionnée tout à l’heure : l’option du référendum d’initiative partagée me paraît devoir être considérée. Même en cas d’insuccès, une telle initiative serait à coup sûr moins déceptive que créatrice d’espoir, si toutefois elle aboutissait à l’ouverture d’une campagne de soutiens.
En tout état de cause, il y a un sillon à creuser, en se saisissant des leviers constitutionnels chaque fois que cela est possible et plus fondamentalement en réarticulant de façon systématique la critique démocratique et la critique sociale, pour faire de la combinaison de ces deux instruments un puissant levier de transformation. Il est temps de forger des mots d’ordre associant de manière très nette et très performative les injustices de tous ordres et les logiques institutionnelles qui en forment le terreau. La crise de régime nous y invite, le danger autoritaire nous y enjoint.
Très certainement, les initiatives de la gauche parlementaire peuvent en la matière jouer un rôle de catalyseur, pour autant qu’elles soient portées en lien et en bonne intelligence avec le mouvement social et la société civile. Ceci n’irait pas sans un effort de réévaluation de certaines conceptions : la « conquête du pouvoir » visée au nom et au moyen, selon les cas et les sensibilités, d’une « souveraineté populaire » ou d’une « social-démocratie » elles-mêmes figées par l’histoire, dans des cadres devenus trop étroits pour permettre le développement d’une société plus libre et égalitaire.

En conclusion, je souhaite évoquer d’un mot la pensée politique de Mably, philosophe que l’historienne Florence Gauthier m’a à juste titre mis sous les yeux, après avoir lu mon livre, où il manquait.
Il y a du profit à tirer d’une intelligence qui dans son siècle avait perçu très finement le rôle potentiel des institutions « représentatives », malgré leurs défauts, dans la transformation politique future de la société d’Ancien Régime.3 Nous ne sommes certes plus sous l’Ancien Régime, et l’Assemblée n’a que peu de choses à voir avec les états généraux – moins encore, avec les parlements… Toutefois, sans perdre de vue les aspects problématiques de nos institutions, qu’il nous faut œuvrer à corriger, c’est assurément dans leur fonctionnement, et tout particulièrement à travers l’affirmation des droits du Parlement, à l’initiative de la principale force politique manifestement capable et désireuse de les revendiquer, que nous pourrions trouver, en dialogue avec une société civile de plus en plus consciente, critique et mobilisée, les voies d’un indispensable sursaut démocratique.

1.Paris, Passés Composés, 2022.
2.Le Coup d’État permanent, Paris, Plon, 1964.
3.Des droits et devoirs du citoyen, paru en 1789 à titre posthume.

Publié dans depuis lors (février 2023-...) | Laisser un commentaire