Dans un l’épisode précédent, je critiquais le « confinement “assoupli” qui, en renvoyant les perspectives d’amélioration aux calendes grecques, condamn[ait] ses initiateurs au durcissement et à la prolongation. » Que j’aimerais avoir eu tort ! À quelques cases de Noël, dans ce singulier calendrier de l’Avent 2020, on en est pourtant là : l’épidémie stagne, voire reprend du poil de la bête. La faute certes au refroidissement, mais aussi : au maintien en activité des écoles, collèges et lycées, aux entreprises qui s’exonèrent du télétravail, à la réouverture de commerces trop vastes, trop achalandés pour pouvoir mettre en œuvre des mesures prophylactiques efficaces, etc.
Dans le registre des constats navrants, la situation épidémique le dispute aux absurdités concoctées par un gouvernement décidément prolifique en la matière. Ainsi on peut désormais courir les grands magasins, prendre le métro ou même aller à la messe, mais on ne peut pas aller au spectacle, mais on ne peut pas aller au cinéma. Tout cela a déjà été dit, mais pas assez fort sans doute, ou à des esgourdes insuffisamment attentives, insuffisamment convaincues de l’utilité de la culture et de ses travailleurs dans les sociétés humaines.
Après ce semi-confinement des plus baroques, nous voici à nouveau sommés de rester chez nous dès 20 heures. Comme attendu, l’infantilisante attestation a cédé la place à une mesure encore plus brutale. Lorsque l’idiot sésame permettait théoriquement de s’évader pour quelques heures de jour comme de nuit, le couvre-feu sonne méchamment comme l’« Acht Uhr » des temps de guerre. Je caricature ? À peine. On ne touche pas à la liberté sans conséquence, et ceux qui le croient doivent urgemment se rendre à la raison. Sur ce sujet des libertés, il faut écouter ce que répètent depuis le 17 novembre les opposants à la loi Sécurité globale. Il faut lire également ce que dit la Quadrature du Net de la bigbrotherisation de la société. (Âmes optimistes, s’abstenir.)
Pendant les longues soirées d’hiver, on aura certes tout loisir d’imaginer à quoi ressemblera le « monde d’après », lorsque se sera levée la grande noirceur qui le porte en gésine. Oh, bien des détails nous échappent encore, mais on en discerne déjà les contours, nettement moins avenants que les promesses enchanteresses entendues il y a neuf mois. Ainsi, dans nos foyers, la misère nouvelle viendra s’ajouter à l’ancienne. Ainsi, dans nos rues, le petit commerce agonisant ne se sera sans doute pas relevé de l’O.P.A léonine menée par les plateformes numériques. Ainsi, les drones de la « Sécurité globale » voleront par-dessus nos têtes. Ainsi, sur la terre en général, la réduction de 7 % des émissions de CO2 devrait n’être qu’une pause dans la course à l’abîme : sècheresses, inondations, nouvelles pandémies, etc. Macron peut bien brandir son plan de relance « vert » : seuls 30 milliards d’euros sur les 100 promis auraient un effet positif en termes de diminution des gaz à effet de serre, d’après le Haut conseil pour le climat. « On n’éteint pas un incendie avec 30 % d’eau et 70% d’huile », a dit Bayou sur France Culture, avec un indéniable sens de la formule*.
Parmi la suite inexorable de fausses promesses et de renoncements qui auront préparé le cataclysme annoncé, l’histoire retiendra peut-être le sort que Macron a fait à sa propre « Convention Climat ». Dans un billet publié au moment où s’installait cette instance d’un genre nouveau, je me demandais si les citoyennes et citoyens tirés au sort seraient les faire-valoir du gouvernement ou les commis de confiance du peuple. Plus tard, à la lecture de leurs travaux, je leur tirais mon chapeau. Cette preuve des formidables ressources de la démocratie directe ne me faisait pas perdre de vue les nuages qui s’amoncelaient à l’horizon. Aussi j’écrivais que si « Macron annoncera[it] vraisemblablement son intention de soumettre au référendum les propositions de révision de la Constitution », les autres mesures n’échapperaient pas en revanche « à la moulinette du “parlementarisme rationalisé” et des lobbies de toutes sortes». Quelques semaines plus tard, la promesse présidentielle de reprendre « sans filtre» 150 propositions de la Convention moins trois était déjà caduque, amputée, entre autres, du moratoire sur la 5G. Quelques semaines encore et le projet de loi censé mettre en œuvre la partie législative du rapport s’avérait une reprise trop partielle, trop approximative, trop diluée, des travaux des Cent-cinquante. Le 4 décembre, enfin, sur Brut.fr, Macron le Roué, placé face à ses contradictions, devenait en prononçant ces mots Macron l’Inélégant: « je ne veux pas dire que parce que les cent cinquante citoyens ont écrit un truc, c’est la Bible ou le Coran ». Dix jours encore et il se prenait à nouveau pour Majax, sortait de son chapeau un référendum sur l’inscription de la défense du climat et de la préservation de l’environnement dans la Constitution, ou, plus exactement, une proposition de loi constitutionnelle, devant donc être adoptée dans les mêmes termes par les deux chambres avant de pouvoir être soumise au peuple. Mise en œuvre d’une proposition des Cent-cinquante certes indispensable, mais insuffisante en tant que telle : ajouter un principe à la Constitution permet l’exercice du contrôle juridictionnel, mais ne suffit pas à faire une politique publique.
Progressivement, j’atteins à la conclusion de ce billet. Il ne sera pas dit en effet que j’aurai fini cette annus horribilis sans avoir répété, une énième fois, plagiant Caton en ses discours : « il faut abolir la monarchie présidentielle » et « il faut passer à la 6e République ». Le point commun entre ladite conclusion et les paragraphes qui précèdent ne vous paraît pas évident ? Il saute pourtant aux yeux.
D’où vient, premièrement, cette impression de chaos à la tête de l’État tout au long de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 ? De ce que les décisions n’ont pas été suffisamment prises en commun. De ce qu’elles ont été élaborées dans le secret d’un conseil de défense, hors du champ des institutions et, en définitive, par un seul homme. Des régimes moins cheffés ont aussi éprouvé des difficultés ? Certes ! Qui n’en aurait pas rencontré, en pareilles circonstances ? La meilleure organisation sociale au monde ne permettrait pas d’échapper aux tourments de l’incertitude, ne permettrait pas de conjurer la gravité des crises – ainsi l’Allemagne et la Suède, qui sont un peu moins loin que nous de cet idéal, ont également subi les affres de l’épidémie. Mais en responsabilisant la société, la démocratie rend ses choix plus acceptables et renforce d’autant sa résilience.
D’où vient, deuxièmement, que nous ne parvenions pas à adopter un plan écologique ambitieux, pourtant en grande partie contenu dans les mesures des Cent-cinquante ? De ce que, dans ce domaine comme dans tous les autres, les décisions parties de la base se heurtent aux réticences du sommet. J’ai déjà expliqué et comment, et pourquoi.
D’où vient enfin qu’en France, l’État puisse si facilement restreindre les libertés ? De ce que le peuple n’est pas assez associé à leur protection.
Ainsi, sous l’actuelle république, le parlement, le peuple, la société tout entière sont écrasés par un personnage unique, étrange resucée des rois de l’Ancien Régime et du césarisme bonapartiste : le « président de la République ». Et secondairement par l’organigramme qui en procède, consolidé par l’esprit de cour au lieu d’être guidé par la conscience civique. Quand tous ses voisins étaient encore des monarchies, notre pays se fit république ; quand tous étaient devenus des régimes parlementaires, il se dota d’une espèce de roi. Singulier destin que celui-là. Je n’y vois pas de fatalité : plutôt une injonction au sursaut. Sur ce blog on trouvera maints avis critiques sur la 5e et le but du présent billet n’est ni de les rassembler, ni de les approfondir, mais seulement d’appuyer encore le doigt sur cette incongruité institutionnelle, comptant qu’un jour on la fera passer par pertes et profits, espérant qu’alors il ne sera pas trop tard, que l’« élection monstrueuse » n’aura pas déjà accouché d’un « monstre », pour reprendre des termes entendus dans la bouche d’une camarade. La remise en cause de cette encombrante figure tutélaire pourrait-elle être la première étape d’une réflexion d’ensemble sur les moyens de rendre notre société plus égalitaire et plus démocratique ? Il n’est pas interdit d’espérer.
* Matinale du 14 décembre 2020.