César sans son command-car

Aguste Prima Porta – Musée du Vatican.

Triste 14 Juillet pour les amoureux du shako et de l’arme blindée : pour la première fois depuis des lustres, en ce jour de fête nationale, les Champs-Élysées sont restés vides. Place de la Concorde, ci-devant place de la Révolution, on trouvait certes encore quelques officiels en tribune… mais point de public le long de la « plus belle avenue du monde » – en fait avenue du fric et des triomphes militaires. Qui d’ailleurs serait venu y applaudir Macron ? Il y a longtemps que les monarques quinquennaux ne suscitent plus ni l’enthousiasme, ni même le respect, mais une sourde défiance, qui vise autant le titulaire que la fonction. Dommage pour César, jamais si heureux que sur son command-car et qui aurait rêvé d’écrire dessus, après la crise du Covid-19 : « veni, vidi, vici ». Qu’il semble loin, le 14 Juillet scintillant encore d’illusions, où il accueillait Trump en grande pompe et se posait en sauveur de la France, de l’Europe et de la planète bleue !
Ironie de l’histoire, la journée était placée sous le patronage de De Gaulle. Mais depuis le 18 juin 1940, le verbe de l’homme providentiel a singulièrement perdu de son pouvoir créateur et l’étoile présidentielle a pâli jusqu’à disparaître dans l’obscurité céleste. Privé ou presque du décorum grandiloquent, de l’apparat qui fonde, sous la 5e, le prestige des chefs de l’État, Macron est revenu à la petite politique où devait inéluctablement sombrer ce régime. Pour transcender les partis, il fallait pouvoir revendiquer l’héritage du CNR ; il fallait avoir incarné la France Libre. Prisonnier de sa stratégie à un coup, le fossoyeur de la gauche, qui se vantait en 2015 de ne pas avoir sa carte au PS, se croit obligé de barrer à tribord au lendemain des municipales – guerres picrocholines. Ainsi nomme-t-il Castex, homme de la conservation, pour donner des gages à une droite déchirée, depuis la chute de la maison UMP, entre un orléanisme qui a connu son heure de gloire, et un légitimisme et un bonapartisme qui l’attendent en se frottant les mains. Erreur funeste ! L’UMP était une machine de guerre électorale, solidement ancrée de la droite jusqu’au centre, quand LREM est un fan club en perdition, désormais sans groupies ni objet social. De fait, ceux qui avaient préféré Sarkozy à Le Pen finiront immanquablement par préférer Le Pen à Macron. La « Révolution » en carton de 2017 a donc accouché du monstre dont elle était grosse : le parti de l’ordre, qui peut-être en prépare une version encore plus autoritaire, encore plus détestable. Que dire en attendant de la nomination de MM Darmanin et Dupont-Moretti respectivement à l’intérieur et à la justice, cet affront à la cause des femmes ?
Le « nouveau chemin » sur lequel on veut nous embarquer pour 2022 est évidemment une impasse et l’interview de ce jour en porte un énième témoignage. Grotesque exercice en verité, qui acoquine des « journalistes » déférents et un président à la fois omnipotent et politiquement irresponsable. Ici nous avions mis en garde contre les soliloques du pouvoir impuissant ! Satisfecit sur la Convention citoyenne, remarquable exercice de démocratie délibérative, malheureusement condamné à finir dans les poubelles de l’énarchie et du parlementarisme rationalisé. Satisfecit sur le « plan de relance » qui, loin de se tenir à égale distance du « productivisme » et de la « décroissance », comme l’avait vanté la ministre Wargon, renoue avec d’antiques méthodes destructrices de l’humain et de la planète. Retour d’une réforme des retraites rétrograde, qui avait valu à son initiateur le mouvement social le plus puissant et le plus éruptif du dernier demi-siècle. Et dans tout cela, aucune solution à la crise démocratique, sociale et écologique : de vieilles ficelles pour agiter de vieux pantins. Pouvait-il en être autrement ? Tout système vertical et hiérarchique qui se sauverait peut-être en se réformant tend fatalement à se perdre en se refermant. La France pourtant n’a besoin ni d’un imperator, ni d’un guérisseur d’écrouelles, mais d’un gouvernement vraiment démocratique.
Si donc le 14 Juillet a du sens cette année, sous les nuages qui s’amoncellent, sous la chape de plomb d’une république monarchique qui s’apprête peut-être à montrer son visage le plus hideux, n’est-ce pas pour nous rappeler que le renouveau ne pourra venir que du génie du peuple ?

 

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