La grande affaire de la semaine est le remaniement. Comme souvent il y a deux manières de prendre l’actualité. Nous choisirons la seconde et nous dirons pourquoi.
Première manière : l’exégèse docile, dans le genre de la chronique monarchique. Pour la plupart, les médias de masse excellent dans cet art qui ramène le commentaire journalistique au temps de La Gazette de Renaudot : quatre cents ans en arrière. Au pire, on y sert la soupe : ainsi Mme Coudray qui, interviewant Castex le vendredi 3 juillet sur TF1, lui demande « des noms, des noms » et se paie le luxe d’être recadrée pour cette question digne d’une émission d’avant-match. Au mieux, on cherche à y deviner l’avenir comme on touillerait du marc de café. Rarement on questionne le système et son incapacité à produire des solutions d’intérêt général.
Nous préférons la seconde manière : commencer par ce constat élémentaire qu’un remaniement qui ne procède pas d’un authentique mécanisme démocratique n’est jamais qu’un expédient à la main du prince.
Loin dans l’histoire de notre pays on trouve des exemples de cette pratique née du temps où toutes les institutions « représentatives » – états généraux, états provinciaux, assemblées des notables – avaient été mises sous l’éteignoir par la monarchie absolue. Pas totalement insensible aux protestations des cours et aux soulèvements populaires, l’Ancien Régime finissant nomme successivement Turgot, Calonne, Brienne, Necker, espérant chaque fois rétablir son crédit, résoudre ses contradictions et ainsi échapper à sa perte. Mais l’abîme est devant lui qui lui barre la route, béant comme l’histoire, profond comme mille ans. Pour surmonter la crise il faudra certes les états généraux, mais il faudra encore bien plus : une Assemblée nationale constituante. On ne répète pas l’histoire : on la réinvente. On ne ressuscite pas les anciens cadres : on en crée de nouveaux, seuls capables de construire une réponse politique à la hauteur du moment. Alors, surgissant du fond des siècles, produit d’une lente maturation où se mêlent mille combats, mille résistances, mille soulèvements, des villes et villages du Moyen Âge aux révoltes de la Fronde et jusqu’à ce XVIIIe siècle qui, sans retourner exactement à l’absolutisme, ne s’en arrache jamais complètement : la Révolution.
À peine avons-nous écrit ce mot que déjà on s’affole. Les vieux mythes s’ébrouent et donnent au camp de la conservation d’imparables arguments. Ceux qui, à tout prendre, ne se seraient pas trouvés plus mal dans la société d’ordres de l’Ancien Régime, jugent que le peuple, par comparaison, n’a pas trop à se plaindre de sa situation présente. Aux tenants du progrès linéaire et de la fin de l’histoire, qui observent distraitement, depuis leur tour d’ivoire, les convulsions du monde, le passé paraît toujours plus misérable. L’était-il vraiment, en 1789, après un siècle d’expansion économique et d’amélioration des conditions de vie de la population ? Certes non. Mais la « société civile » avait pris conscience que le régime était incapable de répondre à ses aspirations à la liberté et à l’égalité.
Revenons à nos jours. En sommes-nous arrivés à un tel point de blocage qu’il faille tout bouleverser ? Si on les lit en creux plutôt qu’en relief, les chiffres des élections municipales nous apportent une partie de la réponse. Ils témoignent non plus seulement d’un divorce, mais d’une véritable sécession de millions de femmes et d’hommes à qui la République, en son temps, a pourtant reconnu le droit de vote. Apathie ou protestation sourde : peu importe le motif, il faut se méfier de l’eau qui dort. Et rien ne justifie que la société politique n’entende pas cette colère qui la submergera bientôt, d’une manière ou d’une autre. Les Gilets jaunes l’ont exprimée et ils ont été battus froid. La société tout entière l’a exprimée et elle n’a pas été entendue. Résultat, à deux ans d’une présidentielle dont l’ombre effrayante nous nargue déjà de sa hauteur ? Une abstention monstre, inédite, et des sondages qui nous promettent toujours le même duel insensé, et un écart toujours plus serré entre ses protagonistes. Le fait est que jamais dans notre histoire récente nous n’avons été placés face à une telle alternative : révolution démocratique ou barbarie. Sur ce point encore l’histoire est riche d’enseignements, si l’on veut bien se donner la peine de la lire à la lumière notamment de la lutte des classes.
Lors sa première intervention devant les Français, Castex, nouveau grand vizir, a clairement opté pour la conservation. Questionné sur ses « valeurs », en pleine crise démocratique et sociale, il a choisi son triptyque : « Responsabilité, Laïcité, Autorité ». Rappeler simplement la devise qui orne tous les frontons républicains, « Liberté, Égalité, Fraternité », n’aurait pourtant pas été du luxe. Ainsi Macron et ses gardes suisses font ce pari fou mais terriblement logique d’occuper l’espace de la « droite républicaine » pour se confronter à Le Pen. Voilà le vrai visage de la « révolution » de 2017.
Loin de « dessiner un nouveau chemin », comme il le promettait le 2 juillet dans la PQR, parlant comme Didi dans le Lotus bleu qui voulait « trouver la voie », Macron poursuit donc sur la pente inexorable où s’étaient engagés ses prédécesseurs quinquennaux. De la 5e déliquescente, on n’attendait pas mieux. Mais du génie du peuple, sorti de sa bouteille, on espère beaucoup.
vu de la butte
Parce que de là-haut on perçoit mieux les convulsions du monde. Et parce que la butte évoque les combats populaires, redonne du contenu à une république que nous voulons démocratique et sociale.
Sur ce blog on trouvera, par chance, plusieurs illustrations de l’artiste Vieuvre.-
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