rupture de barrage

La Vague (Gustave Courbet - Musée des beaux-arts de Lyon).jpg

Gustave Courbet, La Vague, 1869, Musée des Beaux-Arts de Lyon.

Une semaine exactement après les élections européennes, on pouvait entendre un commentateur très autorisé tenir à peu près ce langage : « Il n’y a aucun risque qu’Emmanuel Macron soit battu par Marine Le Pen en 2022. »

Que penser de cette prophétie lénifiante ? Qu’elle est aussi peu valable que celle qui consisterait à prévoir, à même échéance, l’élection triomphale du Rassemblement national. Comme souvent, la vérité se situe entre les deux : c’est-à-dire qu’au train où vont les choses, il devient de plus en plus vraisemblable que Mme Le Pen remporte sur le fil la prochaine présidentielle. Pourquoi ? Parce que le barrage républicain, érigé en 2002, colmaté en 2017, est sur le point de rompre. Voyons comment.

Au premier tour de la dernière présidentielle, M. Macron devance Mme Le Pen d’à peine un million de voix. Les deux candidats suivants, MM Fillon et Mélenchon, se situent une marche au-dessous, dans un mouchoir de poche. Plus de 80% des votants ont choisi l’un de ces quatre champions qu’1,6 million de bulletins séparent – une paille. Ainsi, M. Macron doit plus sa victoire au report massif des électeurs de ses adversaires de premier tour qu’à la mobilisation de son électorat naturel. Les chiffres le démontrent amplement : le 7 mai, il est élu avec 20,7 millions de bulletins, dont plus de 9 millions sont dus au report.

La fragilité structurelle du barrage pourrait bien occasionner sa rupture. Comment ne pas penser que, la droite étant désormais réduite à ses expressions bonapartiste et légitimiste et la gauche radicale ne souffrant plus de donner des blancs-seings à l’ordolibéralisme, la majorité des voix de report échues à M. Macron en 2017 lui feront défaut en 2022 ? Ajoutons à cela l’érosion naturelle due au quinquennat et au calendrier électoral (Nicolas Sarkozy a perdu 2 millions d’électeurs entre 2007 et 2012) et la baisse de participation prévisible entre les deux tours (3 points de moins en 2017, quand la participation avait augmenté de 8 points entre les deux tours de la présidentielle 2002) : les conditions sont réunies pour que le score du sauveur de 2017 ne dépasse plus, en 2022, 15 millions de voix. À ce niveau de désamour, Emmanuel Sôter Macron ne serait plus qu’à un jet de pierre d’une candidate frontiste dont la dynamique est encore renforcée, à l’issue des européennes, par le climat social et l’effet vote utile.

Faut-il préciser qu’il s’agit là d’une hypothèse ? Que, dans l’intervalle, tout peut arriver ? La prudence ne proscrit pas plus la conjecture qu’elle n’impose l’observation à courte vue. À ce stade de la décomposition de la société politique, balayer d’un revers de main la possibilité d’une victoire de Mme Le Pen en 2022 serait pure folie.

Cette mise en garde n’est certainement pas un appel à rejoindre le soi-disant camp des progressistes, dont le leader est passé maître dans la technique du pompier-pyromane, mais à construire sans attendre la seule alternative possible pour l’avenir, qui devra être, pour succéder : démocratique, sociale, populaire et constituante.

Au-delà des chiffres et des pronostics, le seul constat de l’impasse politique où se trouve notre pays nous y engage.

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