L’avant-dernière semaine du confinement généralisé s’est terminée en eau de boudin. Découvrant sur le tard la science cartographique et ses applications, ces messieurs-dames du gouvernement nous ont fait don d’une carte figurant les départements en rouge ou en vert, selon leur niveau épidémique. La carte, malheureusement, était truffée d’erreurs : faute d’avoir été conçue à partir des indicateurs pertinents, des départements comme le Lot ou le Cher, qui n’avaient pour ainsi dire jamais vu un cas de sars-cov-2 sur leur sol, étaient devenus des « no-go zones« . Quant à savoir à quoi servirait le code couleur, censé permettre de « moduler » le déconfinement, il ne fallait pas le demander aux têtes pensantes qui se trouvaient amplement satisfaites de l’avoir inventé. Les habitants des zones rouges seront-ils en fin de compte assignés à résidence, tandis que ceux des zones vertes pourraient à nouveau batifoler dans la campagne ? Après nous avoir tantalisés à confiner, reconfiner, déconfiner et promis un dé-déconfinement si nous n’étions pas sages, les technocrates des ministères nous présentaient donc un plan sans légende ni objectifs. Sans matériel adéquat non plus, puisque la jauge des tests est encore loin d’être atteinte et les masques manqueront jusqu’au mois de juin pour assurer une répartition homogène sur le territoire – tandis que la grande distribution, grande gagnante du jeu de massacre, fait enrager les soignants à proposer les siens en tête de gondole. L’égalité républicaine, on vous dit !
Les citoyens français ne s’y sont pas laissés prendre, qui placent leur gouvernement au plus bas niveau de confiance en Europe, selon une édifiante enquête Ipsos-Sopra Steria rapportée par Le Monde*. La question est : jusqu’à quel point lesdits citoyens feront-ils le lien entre la décision et ses modalités de production ? En d’autres termes, entre les cagades du gouvernement de Sa Majesté et la monarchie république elle-même ? Dans cette note, nous supputions une relation de cause à effet, constatant que, partout dans le monde, les régimes à parlement fort, donc à gouvernement responsable, s’en sortent mieux que les autres : Allemagne, Suède, Autriche, Nouvelle-Zélande, même Italie et Espagne, en ce sens que le lien de confiance avec la population n’y est pas complètement rompu. La « France du général De Gaulle », pour reprendre l’humour potache de l’adaptation cinématographique d’OSS 117, avec son président omnipotent – mais malheureusement pas omniscient – et son parlement sous l’éteignoir, a surtout brillé par son incapacité à faire face. La période nous montre que si la 5e avait été conçue dans un temps de guerre, elle est incapable en revanche de gérer une crise qui fait appel à l’intelligence collective plus qu’à la hiérarchie et à l’obéissance, aux processus concertés plus qu’aux circuits courts de décision. En déclarant la « guerre » au virus, notre Jupiter national ne s’est donc pas seulement payé de mots : il a commis une erreur historique.
Qu’importe : son grand vizir peut toujours s’offrir l’illusion de l’efficacité en faisant enregistrer au parlement de nouvelles lois liberticides, comme celle sur la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, avec son fichier épidémique hautement inflammable et ses mesures inédites de privation de liberté permettant à l’autorité administrative de prononcer des assignations à domicile. Dans le scénario de la pantomime parlementaire, il est écrit que la vraie-fausse opposition de droite, intérieure et extérieure à LREM, s’érigera en défenseuse de la liberté ; chacun sait cependant sa dangereuse inclinaison à la législation d’exception.
À une semaine de la « première étape du déconfinement », nous voyons toujours se dessiner les deux tendances qui formeront l’alternative des mois et peut-être des années à venir : la révolution citoyenne, portée en ces temps de crise sanitaire par des soignants et des enseignants qui ont tout loisir de constater l’incapacité chronique de leurs ministères « de tutelle », ou l’involution autoritaire, qui est la pente naturelle du régime.
Qui vivra verra.
* Du 2 mai.