redonner du contenu à la démocratie… ou se résoudre à la voir périr

Au point où nous sommes du pourrissement de notre vie politique, il peut être utile de dégager quelques idées, quelques propositions. Non sans s’être préalablement rafraîchi la mémoire.

Le 14 avril, donc, le Conseil constitutionnel, hérissé de gendarmes comme Petibonum de légionnaires romains, valide la loi sur les retraites. Il rejette en même temps le référendum d’initiative partagée qui tendait à empêcher ce dispositif injuste, mais temporise, en annonçant l’examen d’un second RIP, déposé aux mêmes fins par les partis de la Nupes. Dans la foulée, Macron promulgue, enterre la démocratie sans fleurs ni couronnes. Borne, elle, se risque à l’oraison funèbre : affirme qu’il n’y a « ni vainqueur, ni vaincu », fait applaudir Dussopt par la poignée de figurants qui forment le « parti présidentiel ».

Jupiter voudrait voir la crise derrière lui lorsqu’elle est justement tout autour, au pied de l’Olympe où il s’est retranché. Comme je l’écrivais le 16 mars au soir, de retour de la place de la Concorde : cette crise déborde largement le sujet des retraites. Avec le recours au 49.3, elle a pris un tour foncièrement démocratique. Pour tout le monde ou presque il est désormais clair que l’actuel régime constitutionnel ne permet plus de faire coïncider la politique et les aspirations populaires : le droit et la justice, la légalité et la légitimité. C’est ce à quoi il nous appartient de remédier, de préférence avant que la logique césariste de la Ve ne produise une « solution » plus nettement « illibérale » : autoritaire, réactionnaire, xénophobe, etc.

Dans cette optique, il ne paraît pas bien compliqué de nommer les problèmes les plus graves, les plus urgents. Les mouvements sociaux des dernières années, la révolte des gilets jaunes, la lutte contre la réforme des retraites, les ont nommés bien avant nous.
Il s’agit principalement du fait :
1/qu’un individu peut décider de tout, seul contre tous ;
2/que la société réelle n’est pas représentée dans les institutions censément représentatives, et n’a pas de part directe à la prise de décision*.

En termes constitutionnels, ces constats impliquent :
1/de revoir la place du président de la République dans notre système d’institutions : réduction de ses pouvoirs et/ou suppression de l’élection au suffrage universel direct, voire abolition pure et simple de la présidence de la République.
2/de revoir la place du peuple dans ce même système d’institutions : mise en œuvre d’assemblées permanentes tirées au sort et du référendum d’initiative citoyenne.

Ce ne sont certainement pas là les seuls enjeux mais ce sont en tout cas les plus brûlants.

Dans le meilleur des mondes, les partis de gauche ne devraient plus avoir d’autre priorité que de s’en saisir, pour donner du contenu à la transformation démocratique qu’une majorité de Françaises et de Français semble appeler de ses vœux. Ceci pourrait même être le ferment d’une alliance renouvelée, bien plus solide, entre les formations de la Nupes.
Dans la réalité, on table encore trop volontiers sur le « jeu » normal d’institutions qui ont perdu depuis belle lurette tout caractère de normalité : on se contente de déclarations nécessaires mais encore trop vagues sur la VIe, et la question démocratique passe à l’as**.

Peut-être le RIP, s’il est admis le 3 mai par les juges de la rue Montpensier, permettra de bâtir un front tout à la fois social et démocratique. Force est de reconnaître que cinq millions de signatures seraient une bonne base pour des succès futurs.
En attendant, ce flou, sur fond de colère sociale – aujourd’hui exprimée, demain, rentrée – profite à Le Pen, qui pourra dire, comme Macron avant elle : « moi ou le chaos ».
Sans solution légale, portée par les acteurs des institutions et appuyée sur un large consentement populaire, c’est ce à quoi nous courons à brève échéance. En d’autres termes il faut redonner du contenu à la démocratie ou se résoudre à la voir périr.

En attendant un éventuel déclic, c’est aux citoyen·ne·s à prendre les devants. Certains le font déjà, regroupés en collectifs dont on a parlé dans ces pages. De prochaines initiatives permettront d’accroître encore leur nombre, d’ouvrir des perspectives à une société qui ne trouve autour d’elle que des murs ou des impasses. Ce ne sera pas encore assez ; ce sera au moins quelque chose.


* Je n’ai pas jugé indispensable ni au 1/ ni au 2/ d’ajouter « pour ainsi dire ». En démocratie, la caricature a ses vertus. On apportera de soi-même les nuances qui s’imposent.
** Il faut toutefois mentionner ici le travail mené avec autant de sérieux que de pugnacité par la députée Raquel Garrido et quelques-uns de ses collègues dans le cadre de l’intergroupe Nupes. On voudrait voir ce travail bien plus suivi, bien plus soutenu. On compte beaucoup sur sa traduction politique.

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