En ce printemps 2024, en France, comme ailleurs en Europe et dans le monde occidental, nous vivons peut-être nos dernières années, nos derniers mois de liberté. Ou, pour être plus exact, tant il est hasardeux, et délicat, de fixer des limites temporelles aux phénomènes quels qu’ils soient : nous sommes déjà entrés en régime de semi-liberté, et nous assistons à la gestation d’un régime autoritaire de type populiste-identitaire.
Rarement, dans l’histoire récente, la situation n’a été aussi défavorable aux forces de progrès, à la démocratie et à la vie sociale en général. À la tête de l’État, la coalition d’extrême centre, pour reprendre l’expression de l’historien Pierre Serna, poursuit avec virulence les politiques néolibérales mises en œuvre depuis les années 1990, en démantelant les services publics et en amenuisant les droits sociaux. Convaincue de tenir la position centrale d’un introuvable « arc républicain », cette étroite coalition ne cesse paradoxalement de porter atteinte aux libertés démocratiques, comme elle l’a fait encore dernièrement en dévoyant la procédure judiciaire. Après sept années d’exercice du pouvoir de celui qui, par deux fois, a prétendu la sauver face au Rassemblement national, la République est plus menacée que jamais. Au point où nous sommes, la Macronie rappelle immanquablement le gouvernement de Cavaignac, à l’été 1848, faisant la courte-échelle au Parti de l’ordre.
Dans cette ambiance de fin de règne, on s’attend à voir Bardella arriver en tête, de très loin, aux élections européennes du 9 juin prochain. Grâce au soutien actif de médias d’opinion déterminés, financés par des capitalistes réactionnaires, grâce à l’extraordinaire puissance de manipulation et de mobilisation des réseaux socionumériques, les entreprises politiques d’extrême droite déploient leur discours tous azimuts, désignant à la vindicte publique toute forme de vie sociale qui ne correspond pas à leur vision fantasmatique de l’homogénéité nationale et de l’ordre. Après avoir vampirisé LR, y compris par l’intermédiaire de Reconquête !, le RN, réalisant discrètement l’union des droites, poursuit son ascension conquérante des degrés du pouvoir. L’État régalien lui est en partie acquis, la presse, dans sa généralité, ne lui est que très modérément hostile, les institutions à fort potentiel autoritaire de la Ve République lui sont offertes sur un plat d’argent; quiconque a confondu extrême centre et extrême droite pourrait en être bientôt pour ses frais.
Fuite en avant de l’extrême centre, marche conquérante de l’extrême droite… le tableau ne serait pas si épouvantable si la gauche partidaire n’avait pas failli à sa promesse d’union, si elle occupait effectivement la fonction pour laquelle elle a été mandatée aux dernières législatives. […] Lire la suite de cette tribune sur QG.media, où elle a été publiée le 11/05/2024.