sur l’idée de tirer au sort les membres du Sénat

Je jette à nouveau quelques mots sur la toile après avoir pris connaissance de la stimulante chronique de Clément Viktorovitch diffusée le dimanche 19 février, sur France Info, dont je recommande l’écoute ou la lecture.
Il y est question de tirage au sort.
Étant moi-même, désormais, un fervent partisan de cette modalité de désignation des membres de nos assemblées délibérantes, je ne pouvais qu’être favorablement interpellé par un tel son de cloche, entendu sur les ondes du service public.
La présente note est donc tout d’abord l’occasion d’aller dans le sens de notre ami Clément Viktorovitch, qui se prononce en faveur d’un Sénat tiré au sort – idée portée depuis des années avec conviction et talent par le collectif pour un Sénat citoyen, dont on trouvera ici l’excellente proposition de loi constitutionnelle.

Trois points, cependant, ont retenu mon attention dans l’exposé, sur lesquels je souhaite faire quelques remarques, convaincu qu’un dialogue entre les promoteurs de solutions démocratiques de cette nature ne peut qu’être profitable à leurs combats communs.
À travers ces lignes, je m’en ouvre en même temps à l’auteur de la chronique et aux internautes qui me liront.

  1. Premièrement, si l’idée d’un Sénat citoyen me paraît excellente (à plusieurs égards), il ne me semble pas opportun d’« entrer dans le sujet » par la question du Sénat, comme le fait Clément Viktorovitch. Le problème en effet n’est pas tant celui de l’institution Sénat, que celui de la crise démocratique en cours. Le Sénat, en l’occurrence, est un moyen, pas une fin. De fait : le choix du tirage au sort pour la désignation des membres des assemblées délibérantes pourrait aussi bien s’appliquer au Sénat qu’aux « assemblées citoyennes territoriales » suggérées par le collectif Sénat citoyen. En d’autres termes, c’est à partir du principe qu’on construit la méthode, et non pas l’inverse. Si l’objectif est de forger un mot d’ordre destiné à être massivement approprié par les citoyen•ne•s – ce qui sera indispensable pour faire fléchir les conservatismes –, alors, l’ordre dans lequel on prend les choses a du sens. Ce qui m’amène naturellement à mon point n° 2 : la question de la légitimité.
  2. Deuxièmement, donc, je ne crois ni utile ni pertinent de faire de l’élection le principe « qui forge la légitimité » pour réserver au tirage au sort une simple « légitimité politique complémentaire ». J’ai discuté ce sujet – trop peu, en vérité – dans un épisode de ma chronique « Contre-pouvoir » que l’on trouvera ici. J’y rappelais le biais originel de l’élection, depuis d’ailleurs les états généraux des XIV-XVe siècles, qui consiste à s’en remettre dans les affaires publiques à la sanior pars – la partie la plus notable de la population – et, sous notre régime « moderne », à substituer l’aristocratie de l’éloquence à celle de la naissance. Si, pour ne citer que cet exemple parlant entre tous, le tirage au sort doit permettre aux employés et ouvriers, qui forment près de 45 % des forces vives de la société, mais seulement 2 à 3 % des sièges à l’Assemblée nationale, de prendre enfin rang, à leur juste proportion, dans les assemblées représentatives, ce doit être avec une légitimité politique pleine et entière, et non pas seulement avec une « légitimité complémentaire », c’est-à-dire de seconde zone. (Étant entendu qu’il ne saurait, en regard, être question de nier leur légitimité à des élus dont dépend d’ailleurs le déclenchement de tout processus constituant ou de toute réforme constitutionnelle.)
  3. Troisièmement, Clément Viktorovitch mentionne dans sa chronique un tirage au sort  « parmi les citoyens volontaires ». Il est dommage que cette précision n’ait pas été mieux explicitée. Faudrait-il donc, pour pouvoir être tiré au sort, avoir préalablement fait acte de candidature ? Cela reviendrait à pratiquer un fâcheux écrémage, à tout prendre assez antidémocratique, l’objet du tirage au sort étant précisément, dans une société formellement égalitaire mais fondamentalement inégalitaire, d’ouvrir enfin la politique aux citoyennes et citoyens qui ne peuvent s’y rendre d’eux-mêmes en raison de multiples obstacles tant matériels que psychologiques et symboliques (on sait ce que Daniel Gaxie a dit du « cens caché »). Mais probablement Clément Viktorovitch a simplement voulu dire que les personnes tirées au sort ne se verraient pas obligées, par la loi, d’accepter leur désignation – c’est là un autre débat. Rappelons pour mémoire le procès de la Convention citoyenne pour le climat* : des numéros de téléphone, en grand nombre (300 000), sont générés aléatoirement ; les numéros ainsi tirés au sort sont appelés et il est demandé à leurs titulaires si, « sur le principe », ils « acceptent de participer » ; en suite de quoi, un nouveau tirage au sort est appliqué, avec méthode des quotas, pour assurer la « représentativité » des membres finalement désignés.

Ceci posé, entendre se propager les idées démocratiques sur les ondes est en soi une excellente nouvelle. Rendons-en grâce à Clément Viktorovitch, en espérant qu’il tiendra compte de cette réaction et contribution à la pensée commune. Et acceptera d’en dire plus dans un prochain numéro de sa chronique ?


*Merci à Dominique Chapuy, du collectif Sénat citoyen, d’avoir pris le temps de l’échange sur cette note en général et ce sujet en particulier.

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