Le matin, tu étouffes. Tu regardes le plafond et tu songes au sauf-conduit qu’il te faudra remplir pour pouvoir juste faire le tour du pâté de maisons. Alors, le soir, quand tu vois s’allumer une à une les cages à lapins de l’autre côté de la rue, tu t’interroges sur ta liberté réelle et tu mets en doute les beaux mots qu’on t’a serinés sur ce chapitre pendant des lustres. Pas sûr d’ailleurs que ces discours soient encore nécessaires pour te tenir en cage puisque tu y as consenti toi-même, il y a longtemps déjà. Comme a dit La Boétie, c’est ta servitude volontaire. L’autre jour, un député dont j’oublie le nom a suggéré d’ « arrêter cette pseudo défense des libertés individuelles ». Il parlait d’or, car il ne sert à rien de défendre ce qui n’existe plus. Pour toi comme pour la majorité des gens, la liberté, jusqu’à présent, c’était le salaire – le droit de louer ta force travail et celui de payer ton loyer. Mais même ton salaire est en train de disparaître, comme le souhaitaient les grands capitalistes. Alors non, il n’y a ni libertés ni liberté, mais des mirages en dissipation. Si la liberté était une réalité tangible, tu aurais au moins le pouvoir de la définir. Au lieu de cela tu élis des gens qui ne répondent ni ne décident de rien, tout juste bons à amuser la galerie. Alors en effet pourquoi s’embarrasser de « pseudo libertés individuelles ». Mieux vaut voter pour le député en question. Et si tu n’habites pas les Alpes-Maritimes tu peux toujours te consoler auprès du roi-président. Lui châtie plus son langage, même s’il lui arrive de s’oublier. C’est important de bien présenter quand on est le « chef de l’État », de ne pas trop dire « illettrés », « alcooliques », « sans-dents », « racailles ». Parce que quand la langue lui fourche les gens s’aperçoivent qu’il les prend pour des andouilles et décident d’en être vraiment, par exemple en votant Le Pen. D’autres moins obstinés dans la bêtise croient que l’abstention est la seule liberté qu’il leur reste et choisissent de ne plus voter du tout. Voilà ce qu’est devenue ta liberté politique. Quant à ta liberté d’expression, ne vas pas essayer de défendre tes droits dans la rue : il pourrait t’en coûter un œil, ou quelques heures de garde à vue pour t’apprendre les bonnes manières. Dans ce marasme, je ne peux même pas te dire si tu es encore libre de croire au ciel : ça dépend de ta religion. Ceci dit, je ne voudrais pas te laisser penser que plus personne n’est libre, alors qu’on l’est assez quand on en a les moyens. J’entends à la radio cette femme en partance pour Megève quand Paris convulse dans les embouteillages, la veille du reconfinement. C’est vrai, faudrait être idiot, ou pauvre, pour ne pas aller respirer l’air des cimes. Ces séparatistes-là peuvent aller où bon leur semble, polluer tout leur saoul et apprendre à leurs têtes blondes, dans des écoles à part, les rudiments du mépris de classe. En somme faire ce qu’ils veulent en échange de leur soutien au sauveur de la caisse qui est élu grâce à leurs voix. Tout s’achète donc, même la liberté. Pendant ce temps des millions n’ont même pas de toit sur la tête ou s’entassent sous un seul, ce qui n’est guère mieux. Tu en fais peut-être partie. Et les prisonniers vivent à deux, trois, quatre, dans 8m2, et attendront encore un an, dix ans, vingt ans pour pouvoir marcher plus de quelques mètres sous le soleil. Eux doivent ressentir cette même oppression au réveil, mais alors jusqu’à la folie. Peut-être aussi tu en fais partie. Auquel cas il paraît que tu l’as bien cherché. Moi, je ne crois pas qu’on puisse vouloir être privé de sa liberté pour une seule seconde de sa vie. En tout cas, en nous voyant tous enfermés dans autant de cellules censées garantir contre la maladie, le crime, la pauvreté, avec pour seul choix de reconduire dans leurs mandats ceux qui nous y maintiennent, je me pose cette question qui me taraude moi aussi, figure-toi, du matin jusqu’au soir : où est passée ma liberté ?