L’histoire fait la nique à Macron. Depuis le 16 mars, il croyait avoir retrouvé son mojo : la guerre. Il avait commencé son quinquennat en congédiant son généralissime et en renommant « ministère des armées » le ministère de la défense ; le covid-19 lui offrait de le continuer sous les auspices de Jupiter. Ce n’était certes qu’une guerre sanitaire, pas la vraie guerre avec les canons et tout le toutim, mais enfin, c’était la guerre quand même. De l’autre côté du Rhin, Merkel parlait le même langage en mentionnant « la plus grave crise en Europe depuis 1945 ». De la part d’une chancelière allemande, ça ne manquait pas de piquant ; mais nous sommes habitués à ce que le mark fort dicte sa loi au Vieux Continent.
La guerre, donc. À ce régime-là, il était logique que le grand argentier du palais, Bruno Le Maire, annonce, la mine aussi sérieuse que lui permet son regard d’enfant perdu, la « plus grave récession depuis 1945 ». Dans les chaumières où les Français confinés cherchent fébrilement les ondes de Radio Londres et les accents secourables de la voix gaullienne, on imagine le pays dévasté, on se figure, tout autour de soi, les vestiges du monde d’avant. Aussi, lorsque, le 8 avril au matin, la Banque de France confirme la dégringolade du PIB, les petits télégraphistes des rédactions s’activent et relaient servilement la comparaison. « La plus grave récession depuis 1945 », qu’on vous dit… Voilà le microbe tueur élevé au rang des plus féroces destructeurs de l’humanité ; voilà l’Europe confinée comparée à l’Europe dévastée ; voilà le verbe présidentiel redevenu créateur.
Les héritiers de l’ORTF ayant au moins ce mérite de fouiller quelquefois leurs archives, la correction ne tarde cependant pas à arriver : il ne s’agit pas de la plus grave récession depuis 1945… mais depuis 1968 !
La récession, mère de tous les maux, aurait-elle donc quelque vertu ? Se pourrait-il qu’elle ait déjà servi de levier pour contester l’exploitation de la classe ouvrière et le conservatisme moral de la classe bourgeoise ? Que par-delà les faillites et le chômage, elle serve de nouveau à obtenir des droits ? À révoquer productivisme et consumérisme ? À faire de l’écologie politique ? À imaginer, qui sait ?, un monde radicalement nouveau ? Rassurons-nous, nos éminents dirigeants espérant encore s’en sortir pour pas trop cher, le changement ne viendra pas d’eux. Leur « jour d’après » s’achètera toujours au prix « de la « sueur, du sang et des larmes ».
Ce ping-pong rhétorique a en tout cas le mérite de nous poser une question : le PIB est-il la juste mesure du bonheur d’une société ?