domaine des gueux

Astérix portant la potion magique aux esclaves. Astérix : Le Domaine des dieux, 2014.

En cette période de confinement, on ne boude pas les distractions qui font marcher tout à la fois le cerveau et les zygomatiques. L’adaptation animée du Domaine des dieux, dont l’inénarrable Alexandre Astier (de Kaamelott) a cosigné la réalisation et le scénario, est à ranger au nombre de celles-ci : en réinventant au passage quelques gags, elle nous convie à une réflexion politique de premier ordre.

Il faut dire que l’album éponyme de Uderzo et Goscinny était de la plus belle eau. En mettant en scène une énième machination de César visant à noyer le célèbre village gaulois dans un complexe immobilier romain, il abordait avec humour des questions sérieuses : développement durable, rapport colonisateur/colonisé, classes sociales, et nous invitait à renverser tous les points de vue, grâce à la mise à distance permise par les anachronismes. Parmi toutes ces questions, également abordées dans le film, une a plus particulièrement retenu mon attention : la lutte des esclaves pour leur affranchissement (A-t-elle été plus amplement développée par Astier et ses camarades ou est-ce un effet de ma perception ? N’ayant pas l’album sous les yeux, je ne saurais dire.)

À malin, malin et demi : tandis que Rome presse les futurs occupants du Domaine des dieux de rejoindre leurs pénates armoricains, les Gaulois portent la potion magique aux esclaves afin qu’ils se libèrent… et abandonnent le chantier qui menace leur village. Le montage nous laisse sur l’image d’un responsable syndical fort astucieux, recevant une pleine amphore de la fameuse arme secrète. On pense bien cependant que les choses ne se passeront pas comme l’auraient espéré nos héros.

C’est qu’au lieu de briser leurs chaînes, les esclaves choisissent d’engager la négociation avec leurs maîtres. Du centurion qui les exploite, ils obtiennent satisfaction sur tout : l’affranchissement à compter du premier immeuble construit, la citoyenneté romaine, un appartement dans le domaine des dieux, etc.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Une fois la résidence livrée, le sénateur Prospectus leur tient un langage quelque peu différent. Les ayant affranchis d’un geste de l’épée, il leur demande de rendre les clefs des logements dont ils avaient été possessionnés. « Nous avions cru comprendre qu’ils nous avaient été attribués… », s’étonnent, penauds, les ex-esclaves. « Quand vous étiez esclaves ! Parce que là, maintenant, il faut payer 15 sesterces de loyer par semaine », répond le margoulin de sénateur. Avant de poursuivre : « Mais, bonne nouvelle : nous avons justement des postes d’ouvrier du bâtiment qui viennent de se libérer, dont le salaire est de… 15 sesterces par semaine ! ». Et voilà le statut servile du Numide et de ses compagnons d’infortune converti en salariat. (Il était dit que la lutte des classes, moteur de l’histoire, traverserait aussi les aventures d’Astérix et Obélix.) Comble de malheur : les affranchis seront finalement intégrés à la légion… et défaits par les irréductibles.
Rien n’est donc épargné à ceux qui ont préféré la demi-citoyenneté de la plèbe à la « liberté des anciens », et, en définitive, une nouvelle forme d’aliénation à un affranchissement véritable.
Une morale pour le temps présent ?

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