le jour d’après

« Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies, comme trop souvent par le passé dans des crises semblables, sans que rien n’ait été vraiment compris et sans que rien n’ait changé. »

« Ne nous laissons pas impressionner, agissons avec force, mais retenons cela, le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant. »

Quinze mois séparent ces deux affirmations d’Emmanuel Macron.

La première est extraite de son allocution du 10 décembre 2018. Deux jours plus tôt, un quarteron de gilets jaunes s’était égaillé dans les quartiers de l’ouest parisien, laissant dans son sillage une vague odeur de brûlé. Tous ceux qui détenaient une once de pouvoir dans l’État avaient craint de finir comme Foulon et Bertier : la tête au bout d’une pique. Acculé mais pragmatique, l’homme nouveau de 2017 avait alors troqué la toge et le foudre de Jupiter contre les sandales ailées d’Hermès, dieu du négoce et des voleurs, moins glorieuses mais plus seyantes. Croyant pouvoir barguigner avec le peuple, il avait lâché du lest ; mais le peuple, qui voulait plus, ne s’en était pas laissé conter.

La seconde est extraite de son allocution du 16 mars 2020. Autre temps, autre crise. La colère gronde encore mais se fait plus discrète. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », lit-on dans Les Animaux malades de la peste. Et, de fait, le sournois virus frappe sans distinction de classe. La guerre sociale fait place à la guerre sanitaire et l’habile barguigneur s’est adapté aux nouvelles règles du jeu nouveau. Derrière le chantre de la start-up nation, on croit voir l’ombre de De Gaulle. Le confinement n’a pas encore commencé que les couloirs du pouvoir bruissent de mesures étatistes. On y parle nationalisations, plan de relance, voire interdiction des licenciements… Ça, alors ! Macron serait-il devenu socialiste ? On vous l’a dit, « le jour d’après, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant. »

L’histoire cependant nous apprend que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent; que, toutes choses égales par ailleurs, la der des ders de 1918 ne pouvait être autre chose qu’un vœu pieux de gueules cassées, le plus jamais ça de 1945, une vaine espérance, et les vibrants discours sur la crise financière de l’après 2008, des ruses de chattemite, tandis que les rentiers d’un capitalisme censément revenu à la niche gagnaient toujours plus, et les larbins de l’économie dérégulée, toujours moins.

Le covid-19 n’est pas en soi un signe des temps. Les épidémies n’ont pas attendu le capitalisme néolibéral pour décimer des populations entières. L’équation virus = mondialisation = immigrationnisme proposée par les boutefeux du parti lepéniste est un délire de doctrinaire d’extrême droite.
Il serait fou pour autant de déconnecter la pandémie actuelle du modèle de développement économique désormais universellement partagé et devenu fait social total. Il a été démontré que la déforestation, que l’élevage intensif bouleversent les écosystèmes, rapprochent les animaux sauvages des animaux humains et contribuent au franchissement de la barrière des espèces*. Il est acquis surtout que le sacro-saint libre-échange tient les États captifs de productions réalisées de l’autre côté du globe et met en péril leur approvisionnement en situation de crise, en plus de servir de cache-sexe à une colonisation qui ne dit pas son nom. Il est certain aussi que l’Union européenne telle qu’elle a été façonnée par les traités est plus une source de problèmes que de solutions.

Mais alors, quoi ? Puisque « le jour d’après, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant », tout cela va-t-il changer ? M. Macron sera-t-il parjure à sa caste ? Dénoncera-t-il les libertés que la République de l’Égalité, de la Liberté et de la Fraternité prend avec ses principes à travers le monde pour le bien de sa classe dirigeante ? Foin de tout cela ! Il prendra, oui, des mesures conjoncturelles, comme firent tous les césars de la soi-disant république, mais il ne changera rien d’un système dont il est à la fois le produit et l’instrument.
Au « jour d’après », en vérité, les plateformes compteront parmi les rares survivantes de l’économie laminée (dès aujourd’hui, le nouveau prolétariat qui les sert dans la logistique et la livraison est, triste ironie du sort, le plus exposé au risque viral) et le spectre de l’État social sera bien incapable de dicter sa loi à un marché qui licenciera à tour de bras et demandera bien d’autres gages. Au « jour d’après », le capitalisme sera d’autant plus vorace qu’il aura été mis à la diète. Nombre d’usines ne se remettront pas à tourner, cela est certain, mais les rentiers du système n’auront de cesse qu’ils n’auront récupéré leurs avoirs et leur manque à gagner sur le dos des travailleuses, des travailleurs et de la terre nourricière.

Alors, que faire ? Commencer peut-être par ne plus se laisser fourvoyer par les prestidigitateurs professionnels. Savoir que le changement ne pourra venir que de celles et ceux qui y ont intérêt, en France, en Europe, partout à travers le monde.
Et peut-être – qui sait ? – le confinement aura-t-il cette vertu de nous faire revenir à un essentiel que les mirages de la société de consommation, dont nous sommes tout à la fois acteurs et victimes, nous ont fait perdre de vue.


*Lire sur ce sujet l’article de Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », dans Le Monde Diplomatique de mars 2020.

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