le détail qui tue

Jeep, Renault, Koleos, La Saleté, 4 X 4, OffroadMardi 19 mai, le Canard nous en apprend une bonne. Renault, sur le point d’ouvrir tout grand ses caisses pour y recueillir 5 milliards d’espèces sonnantes, trébuchantes, et garanties par l’État, s’apprête, exactement en même temps, à fermer plusieurs de ses « sites » français : Flins, Choisy, Dieppe. C’est ce qui s’appelle avoir le sens du timing. Certes, mais « c’était déjà prévu », affirme alors sans honte la direction du constructeur, nous faisant presque pleurer sur son sort, lorsqu’elle rémunérait encore Carlos Gohsn à hauteur de 7,4 millions d’euros en 2017.  La nouvelle prive Bruno Le Maire de son jeudi de l’Ascension, l’oblige à délaisser l’habit blanc du premier communiant pour l’uniforme bleu du gendarme. « Je n’ai pas encore signé le PGE », rappelle-t-il dans un sursaut de bon sens, demandant aux bénéficiaires des aides à l’automobile de localiser en France « leurs activités technologiquement les plus avancées » – « contrepartie » dont on comprend aisément qu’elle ne vaut pas un pet de lapin. Au passage, on a du mal à croire que l’État, qui détient 15 % du capital de Renault, n’ait pas connu les détails d’un plan d’économies dont les grandes lignes et les objectifs avaient été dévoilés dès l’automne… Mais l’important n’est pas là. Le détail qui tue tient aux raisons qui poussent Renault à sélectionner telle ou telle usine pour satisfaire l’appétit de son actionnariat. Ainsi, le Monde du 21 mai précise utilement que celle de Dieppe « n’est pas équipée pour fabriquer le futur SUV Alpine ». 386 salariés risqueraient donc de se retrouver sur le carreau parce que l’outil de production ne permet pas de sortir un modèle de véhicule dont les études montrent qu’il est à la fois plus émetteur en CO2 et plus dangereux pour les autres utilisateurs de la route… Le SUV Alpine serait hybride ou entièrement électrique que cela ne changerait pas grand-chose à l’affaire : le poids de ce véritable char d’assaut nécessiterait une batterie plus importante, donc plus de ces terres rares extraites dans des conditions épouvantables, en Chine et ailleurs. La loi du marché et la compétitivité du secteur automobile français justifient-elles de jouer avec la vie humaine pour exciter le désir d’ostentation des consommateurs ? Il est permis d’en douter. Vanitas, vanitatis : en vérité, le capitalisme fait courir le monde à sa perte. 

Le Moniteur, hebdomadaire du BTP, se réjouit de la fixation des municipales en juin.

Tout est malheureusement à l’avenant dans un système politique qui succombe encore une fois, malgré la pandémie, malgré la perspective de l’effondrement climatique, aux intérêts boutiquiers de ses mandataires. Ici, on met sous perfusion la grande industrie sans lui imposer la moindre condition sociale ou environnementale sérieuse ; là, au lieu de laisser passer quelques mois pour permettre aux élections municipales de se dérouler dans des conditions  démocratiques et sanitaires satisfaisantes, on en fixe sans délai le second tour en songeant : « quand le bâtiment va, tout va ». 36 maires de grandes villes, de mèche avec le gouvernement, se sont ainsi compromis à demander la tenue de ce second tour* au nom de la « commande publique ». Les beaux discours sur le « monde d’après » valent-ils encore quelque chose, lorsque tous ceux qui les prononcent œuvrent à accélérer la fuite en avant ? L’économie est une donnée à prendre en compte, cela est certain. Mais aux partisans des vieux réflexes, pressés de faire redémarrer tous les chantiers en même temps, on peut objecter qu’à l’échelle des siècles et de l’humanité, quelques mois de réflexion sur l’opportunité, la nature, le modèle des investissements publics et leur participation à une « transition écologique » – de plus en plus chimérique – n’auraient pas été un luxe.


*Sur l’organisation des municipales, il faut lire l’excellent billet de François Cocq.

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