La semaine du 15 juin avait été inaugurée par l’allocution sibylline d’Emmanuel Macron – jadis président jupitérien, désormais Pythie d’une 5e république à la dérive ; elle s’est heureusement conclue sous de meilleurs auspices : la présentation des 150 propositions de la Convention citoyenne sur le climat.
Dans une note publiée au moment de l’installation de cette instance, j’avais fait part à son propos d’une crainte et d’un espoir.
Une crainte : que les citoyens tirés au sort ne servent de faire-valoir au pouvoir.
Un espoir : qu’ils se comportent en commis de confiance du peuple.
Après lecture des propositions, rapportés par la presse le 18 juin, la crainte est dissipée : les Cent-cinquante semblent en effet s’être émancipés des tutelles de toutes sortes pour produire un corpus de normes d’une radicalité de bon aloi. Cette expérience d’un genre nouveau se heurte à un obstacle et ouvre une perspective.
Premièrement, l’obstacle : les conditions ne semblent pas réunies pour que les propositions des Cent-cinquante soient adoptées en bloc. Et comme elles ont été conçues en bloc, on comprend que toute perte de substance serait dommageable à l’objectif fixé, à savoir « réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, dans un esprit de justice sociale ».
En d’autres temps pas si lointains, le « Grenelle de l’environnement », sorte de conférence des parties, avait porté des idées de même nature, pour la plupart classées verticalement dans les poubelles de l’énarchie. Résultat ? Que tchi. Beaucoup de bruit pour rien. De même, pour ce qui est de la convention citoyenne, on sent poindre la tentation du saucissonnage. Ainsi, le 14 juillet prochain, l’oracle Macron annoncera vraisemblablement son intention de soumettre au référendum les propositions de révision de la Constitution. Mais quid du reste ? Des dizaines de mesures élaborées par les Cent-cinquante pour être immédiatement applicables ? Comment penser qu’elles échapperont à la moulinette du « parlementarisme rationalisé » et des lobbies de toutes sortes qui, affolés par les idées déraisonnables des citoyens « de base », font chauffer en ce moment même les téléphones des cabinets ministériels ? Certes, 55 députés « de bonnes volonté » se sont dits prêts à œuvrer à l’Assemblée pour l’adoption des mesures. Mais on sait si les textes non-gouvernementaux fourrés dans la lessiveuse parlementaire finissent rétrécis, déformés, décolorés. Sans compter que l’exécutif aura eu soin au préalable de « trier le linge », avec son appréciation à géométrie variable des articles 34 et 37 de la Constitution, renvoyant dans les tuyaux insondables de l’administration les mesures qu’il souhaite voir disparaître purement et simplement. La nature singulière de la Convention citoyenne – « France en miniature », avait dit Loïc Blondiaux en octobre – suffira-t-elle à conjurer ce danger ? Hélas, cela est difficile à croire. Pour l’instant, en tout cas, il y a fort à parier que l’invention macronesque n’échappera pas à son démiurge, et prendra rang parmi les nombreux gadgets que les présidents ont toujours su élaborer pour se sortir des mauvaises passes.
Deuxièmement, la perspective : si donc nous ne sommes pas assurés d’apercevoir la transition écologique au bout du tunnel politico-administratif, nous pouvons néanmoins nous consoler en considérant que la Convention sur le climat nous place face à cette évidence qu’une assemblée citoyenne est capable de produire, dans un temps réduit, des propositions de lois et de règlements propres à transformer la société. Confiez à x centaines de Françaises et Français la charge de proposer les grandes orientations dans tel ou tel domaine, garantissez qu’ils disposeront pour ce faire de l’accès à toute l’information nécessaire, et vous aurez ce que peu de gouvernements ont été capables de produire au cours des quarante dernières années : des solutions d’intérêt général. Mais pour que ces solutions soient effectivement mises en œuvre, encore faut-il changer la Constitution. Sans quoi on tombe inévitablement dans l’écueil décrit plus haut. Reprendre à l’État les fonctions de souveraineté qu’il s’est appropriées contre le peuple, rétablir le lien entre la nation et ses représentants à travers le mandat impératif et le pouvoir de révocation, instituer le référendum d’initiative citoyenne, et, si l’on tient absolument à avoir un « chef de l’État », archaïsme antédiluvien !, le déposséder de ses pouvoirs exorbitants et revoir les conditions de sa désignation: voici quelques-unes des réformes incontournables pour faire d’une démocratie de plus en plus formelle une démocratie réelle.
L’actualité de la semaine a encore amplement montré si notre pays a besoin de cette révolution citoyenne et démocratique. Ainsi les soignants se font balader par la nouvelle trouvaille de la technostructure pour noyer leur revendications : le « Ségur » de la santé. Ils ne sont pas contents ? Ils peuvent toujours aller se faire asperger de gaz lacrymogène sur l’esplanade des Invalides.
Heureusement, la France, triangle des Bermudes de la démocratie, a encore quelques instances – critiquables par ailleurs – pour veiller sur les libertés fondamentales. Ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il mis en pièces la loi portée par la députée Avia (avocate de son état !) et en sous-main par le gouvernement, qui menaçait gravement la liberté d’expression. À certains égards, la situation ne rappelle-t-elle pas celle de la France du milieu du XVIIe siècle, lorsque, les états généraux n’ayant pas été réunis depuis 1614, le parlement de Paris, simple cour de justice, s’était érigée en défenseur des libertés populaires ? Peut-être. Mais en ce qui nous concerne, nous ne voulons pas de grives : nous voulons des merles !