Miracle : la Maison Blanche et le Sénat américain se sont accordés sur un plan d’aide à l’économie des États-Unis de 2 000 milliards. Arrivée avec la nouvelle du reflux du covid-19 en Chine et la perspective d’un taquet prochain en Europe occidentale, l’annonce de ce plan historique a provoqué l’euphorie (temporaire) des bourses mondiales, qui ont montré aussi peu de retenue dans la jouissance qu’elles avaient montré de calme dans la tempête.
Ô, joie de l’économie financiarisée !
Trois semaines durant, doux rêveurs et oiseaux de malheur nous avaient pourtant annoncé coup sur coup le krach du siècle et l’effondrement du système capitaliste. Qu’ils s’étaient fourvoyés ! Déjà, grands argentiers et chevaliers d’industrie soupirent de soulagement : ce n’est pas aujourd’hui qu’ils seront passés par pertes et profits… ni peut-être même demain. Pour la deuxième fois en une décennie, par l’opération mystérieuse du covid-19, l’humanité est placée devant cette question rhétorique : eux ou le chaos.
Des dégâts, il y en aura, c’est certain – 3 à 6 points de PIB en moins pour la plupart des États qui tirent la croissance mondiale.
Rien cependant qui mette en péril l’édifice. Les secteurs qui subiront la plus grosse purge étaient sur la sellette depuis longtemps : ainsi du transport aérien et de l’automobile. Des milliers de PME voient se vider leur carnet de commandes: elles seront sur l’estran comme autant de coquilles vides où les bernard-l’hermite de la finance viendront prendre leurs aises. Quant aux plateformes, vampires du capitalisme 3.0, elles achèveront de se faire leur place au centre du jeu, entre des consommateurs toujours plus fauchés, des actionnaires toujours plus avides et des travailleurs toujours plus précaires. Pour comble d’aubaine : l’augmentation mécanique du chômage (+ 3,3 millions en une semaine aux États-Unis) enclenche la dynamique de la précarisation de l’emploi, aimablement agréée par les démocraties parlementaires sous forme d’ « assouplissements » du temps de travail ou de prise obligatoire des congés. La dépendance des pays du Sud s’accentue également et les grands prédateurs sauront en tirer parti : ressources peu chères, main d’œuvre servile, marchés captifs.
À ce stade de la pandémie, il semble en tout cas que ce qui attend l’économie-monde n’est pas la destruction pure et simple, mais la destruction créatrice.
Pas la mort, mais la mue.
À travers ce sursis, le capitalisme s’offre l’illusion de sa propre éternité. Et ce faisant il nous présente ce mirage comme une planche de salut.
Sa fin est inéluctable ? Qu’importe, il engloutira tout avec lui. Les eaux montent, les guerres se préparent, les dictatures s’installent, et ce monde qui s’écroule sur lui-même continue de ne connaître qu’une seule constante, la règle universelle et non-écrite qui partage l’humanité en deux groupes : dominants et dominés.
Le capitalisme obnubile à ce point l’esprit que, sous son empire, il devient quasi impossible de distinguer nature et culture, entre temps et histoire, et donc d’imaginer l’alternative.
Le tour de force de la société alternative, d’autres l’ont réalisé par le passé: en révoquant une monarchie de mille ans en 1789, en congédiant une république parjure en 1871, en affirmant, en 1945, que la révolution était la suite logique et nécessaire de la résistance. Les conditions sont-elles réunies pour qu’une fois encore, le meilleur émerge du pire ? En France, la colère populaire atteignait un niveau inédit avant le covid-19, et les cagades en cascade de l’exécutif ne peuvent que l’attiser. Ce n’est en tout cas pas l’énième annonce d’un « plan hôpital » qui l’apaisera. L’allocution du chef de l’État, venu à Mulhouse nous dire, comme Mac-Mahon, « que d’eau, que d’eau », était parfaitement claire au moins sur ce point : la « deuxième ligne », le peuple des livreurs et des caissières, a les remerciements polis de la nation, mais est priée de rester à sa place.
Une source d’espoir provient de ce que les crises en cours nourrissent tout à la fois le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. Tôt ou tard, elles accoucheront de formes nouvelles qui ne seront ni la réplique dégradée, ni l’avatar, ni même le contraire du capitalisme, mais cet ailleurs dont les luttes et les rêves commencent déjà à dessiner les contours.
En attendant, pareil aux étoiles mortes, le marché, ce fait social total, continue de diffuser son idéologie. Et la politique qui lui est inféodée, de quémander auprès de lui des accommodements de moins en moins raisonnables.
Une réponse à permanence du fait social total