Le 14 juillet 1989, la Révolution française commémorée paradait sur les Champs-Élysées, joyeux carnaval marketing imaginé par un publicitaire. Depuis lors, la matérialité de l’histoire nous est revenue en boomerang, révoquant les idées désincarnées. La société du chômage a engendré celle de la précarité ; les structures qui tenaient la nation une et indivisible se sont dissoutes dans le grand marché ; les contradictions sont apparues, flagrantes, entre le cadre césariste de la Ve République et l’aspiration populaire à une démocratie réelle. Trente ans plus tard, la Révolution française est retournée sur les Champs-Élysées, mais sous une forme bien plus authentique, bien plus conforme à l’élan originel, portant de nouvelles revendications démocratiques et sociales.
Ce n’est pas par ces considérations que l’historienne Sophie Wahnich introduit l’édition augmentée de son recueil de textes, L’intelligence politique de la Révolution française (Textuel, 2019). Mais le contexte bouillonnant de cette année jaune et, plus largement, de cette fin de décennie marquée par ce que mon camarade François Cocq désigne sous la juste expression de temps destituant, achève de donner à ce livre un caractère de nécessité. Lire ou relire les discours des révolutionnaires et les articles des déclarations et constitutions passées apparaît en effet plus nécessaire que jamais. Non pas comme source d’imitation, mais comme outil pour comprendre les difficultés rencontrées pour la première fois par les citoyens d’un « présent où rien n’était déjà acquis ». De fait, comme l’écrit l’autrice en préambule, « notre présent politique montre que la Révolution française est redevenue un objet chaud, un point d’appui pour une histoire de haute température ».
Dans les documents commentés, on trouve tout à la fois les grands élans de l’humanité envers elle-même, dans la proclamation d’Étienne Polverel sur la liberté des esclaves, la critique précurseure du libéralisme économique, sous la plume du curé Dolivier pétitionnant pour les quarante habitants de la région d’Étampes, et la réflexivité critique indispensable à tout processus constituant, exprimée dans les observations de Thomas Paine sur le projet de constitution et de déclaration de l’an III. Il y apparaît clairement que si la Révolution française a laissé de nombreuses questions en suspens, elle nous donne néanmoins des clefs pour progresser dans les voies qu’elle a ouvertes.
Comme je l’ai écrit dans cet essai, la Révolution n’a pas épuisé ses significations dans le pays même où elle a pris son essor, voici deux cent trente ans. Malgré la tentation de la mettre sous cloche, notre époque est encore grosse de ses promesses. Le livre fort utile de Sophie Wahnich accompagnera tous ceux qui, constatant la mise en péril de la liberté des anciens convoquée par la Révolution française, considèrent « que oui, des hommes ont été libres et que donc sans doute ils pourront l’être à nouveau. »