Comme nous le pressentions dans ces pages, le carnavalesque « grand débat » imaginé par M. Macron a atteint sa cible : écraser, sous le poids du nombre, les gilets jaunes et leurs revendications.
Sous le règne de la démocratie formelle, l’arithmétique est l’argument ultime. Elle offre à ceux qui ne se posent pas de question de persévérer dans l’abstinence, et à ceux qui ne veulent pas qu’on s’en pose, d’asséner les chiffres qui forment le douillet réceptacle de l’ignorance collective.
Peu importe que seuls 1,5 million de Français aient pris part à la consultation, soit 3% du corps électoral. Peu importe également que cette consultation ait été conçue, dans ses modalités, pour orienter les réponses et organiser la surreprésentation des classes qui comptent le plus d’électeurs naturels du gouvernement. Dans cette matière, seul le résultat compte, implacablement énoncé par le premier ministre : « les Français » veulent la baisse de la dépense publique.
De sa voix blême, le spectre de la « majorité silencieuse » vient donc d’acclamer la politique des dix derniers gouvernements. Avec un avenant de taille, cependant : une petite réfaction de l’impôt – en bonne voie d’être accordée, sous une forme ou sous une autre, si l’on en croit les ballons d’essai lâchés depuis quelques jours dans la presse la plus critique.
Au stade où nous sommes de la décomposition de la société politique, il est vraisemblable que ce plat de lentilles suffise à rallier les derniers points qui manquaient aux sondages pour faire basculer la sacro-sainte majorité dans le camp de la Raison. Après le « grand débat », il y a certes toujours en France 5 millions de pauvres, des millions de plus qui ne joignent pas les deux bouts et, au sommet de la chaîne alimentaire, des ultra-riches qui reçoivent un chèque à neuf zéros des mains mêmes du président : qu’à cela ne tienne, devant Emmanuel Sôter Macron prêchant bientôt ex cathedra le retour au calme tout en prodiguant ses largesses fiscales, chacun pourra se convaincre que la situation n’est pas si terrible, qu’il y a pire ailleurs, et se renfoncer consciencieusement dans son fauteuil.
Pourtant, tandis que les ministres redoublaient d’inventivité pour circonscrire l’incendie social, tandis que l’édilité de France et de Navarre ouvrait, crédule, ses cahiers de doléances au tout-venant, les gilets jaunes, imperturbables, insensibles aux balles de défense comme à la calomnie, construisaient, dans les rues, sur les ronds-points et dans les assemblées des assemblées, à Commercy et à Saint-Nazaire, les réponses politiques à inscrire à l’ordre du jour de la démocratie. Où et quand cela ? Tous l’ignorent, mais chacun sait désormais que la rue fraie parfois des voies insoupçonnables.