Le président remonte dans les sondages. Depuis deux mois, il voit sa cote de popularité revenir vers son niveau antérieur à la révolte des gilets jaunes. Sans doute, le 26 mai, la liste qu’il soutiendra aux élections européennes fera un score honorable, talonnera le Front national, recréant les conditions du duel où il se croit en position de force, entre droite libérale et droite autoritaire, entre orléanisme et bonapartisme. Alors, il sera à nouveau capable d’imposer la politique qui, depuis l’automne, est si vivement récusée par le peuple. Serait-ce un miracle ? Le retour, dans sa geste personnelle, à une fortune qui l’avait momentanément abandonné ? Rien de tout cela, mais un mécanisme éprouvé maintes fois dans l’histoire. Le même mécanisme qui conduisit le parti de l’Ordre, en 1848, à mater la révolte sociale qui avait permis son avènement ; le même mécanisme qui conduisit un pays progressiste en février, à élire, en avril, une constituante conservatrice.
La France est éruptive, désireuse de justice sociale, mais elle craint autant l’anarchie qu’elle aime l’égalité. Son vieil instinct de propriétaire lui commande de s’en tenir à l’écart comme le chat se méfie de l’eau. L’agitation, lorsqu’elle perdure, effraie toujours les honnêtes gens et rebuta jusqu’aux beaux esprits qui avaient aimé Voltaire mieux que Diderot, et Diderot, mieux que Rousseau. Les mêmes qui, dans l’enthousiasme de l’été 1789, avaient voté l’abolition des privilèges et la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, virent d’un mauvais œil, dès l’automne, une Révolution qui prétendait aller jusqu’à son taquet. Soixante ans plus tard, après la chute de Louis-Philippe, l’espoir vécut moins d’un printemps. Au premier scrutin, l’électorat confia les destinées du pays aux représentants du parti de l’Ordre. Sur la marmite révolutionnaire, ceux-ci placèrent un couvercle de fonte qui ne sauta qu’après vingt ans de règne, une guerre humiliante et le siège de Paris.
Voici, maintenant, le point où nous en sommes. Depuis qu’il a recouvré ses esprits à la mi-décembre, le gouvernement applique la stratégie du pourrissement. D’abord, des annonces en pagaille, afin que le peuple écoute, afin qu’il demeure dans l’expectative. Ensuite, le grand débat : deux mois entiers de catharsis populaire et de tournée présidentielle aux quatre coins de la République, étrange réconciliation d’un roi élu et de son peuple, digne d’une enluminure du Moyen Âge. Enfin, peut-être, un référendum. L’interrogé devient l’interrogeant, l’élève redevient le maître, et la ploutocratie triomphante pourra bientôt se congratuler d’avoir terminé la fête des fous, remis en place l’ordre des choses, et empêché, entre autres, le rétablissement de l’impôt sur la fortune et le référendum d’initiative citoyenne. Il est vraisemblable que les questions posées, que les mesures adoptées par le gouvernement ne tiendront alors nullement compte des demandes de démocratie et d’égalité exprimées dans le peuple bien avant qu’on ne lui cédât la parole. Dans l’intervalle, la violence, savamment entretenue, aura nourri la peur, et la peur aura gagné la majorité de l’électorat actif. Les reliquats de protestation sont réprimés à coups de LBD et une proposition de loi rédigée par la droite, adoptée par la majorité avec les voix de l’extrême droite, vise à restreindre le droit de manifester. Un instant croyant, un moment incrédule, le peuple voit d’un seul coup ses espérances abolies.
Qu’advient-il ensuite ? Risquons-nous aux conjectures. Après 1848, il y eut le 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Le pouvoir libéral-autoritaire mourut de ses propres contradictions, après avoir pavé la voie au despotisme. La comparaison s’arrête là ; l’histoire ne recommence jamais exactement. Nul doute cependant que le peuple, battu froid en 2019, se rappellera, en 2022, qu’on a ridiculisé ses espérances.